Aujourd’hui libre de ses occupants, l’immeuble au 87 rue de Carouge est en pleins travaux.

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Chantier «zéro déchet»

Un pas vers la sobriété

31 Août 2022 | Articles de Une

Pas de bâche de protection en plastique ni de produits polluants, aucune canette qui traîne par terre… c’est un chantier dégageant un sentiment de propreté et de cohérence auquel nous avons été conviés en cette fin du mois d’août. Situé à la rue de Carouge (Genève), l’immeuble en question est en cours de rénovation; son originalité: les travaux occasionnent le moins de déchets possible. Chacun des 26 appartements a fait l’objet d’une évaluation pointue afin de déterminer les éléments/matériaux à conserver, ceux à réutiliser sur place et ceux à recycler dans des filières dédiées. L’équipe du département Rénovation durable de Pilet & Renaud SA mène ce projet pilote, qui ne manquera certainement pas d’éveiller l’intérêt.

Les déchets de chantier, à l’exception des matériaux d’excavation, représentent à Genève 70% des déchets ordinaires produits chaque année (chiffres de 2017). Il est donc nécessaire d’amener davantage de circularité à ce secteur d’activités. Abritant dans le passé l’Hospice Général et aujourd’hui libre de ses occupants, l’immeuble au 87 rue de Carouge est en pleins travaux. Les logements, ainsi qu’une des deux arcades, les parties communes et les sous-sols – caves et chaufferie – sont en cours de réhabilitation. L’édifice, construit en 1910 et situé dans un secteur protégé, nécessitait d’être assaini et remis au goût du jour. Son Indice de dépense de chaleur (IDC) dépassait largement les nouvelles directives énergétiques. Le propriétaire privé, accompagné de la régie Pilet & Renaud, a opté pour un standard Haute performance énergétique (HPE) et, dans la foulée, a accepté de s’engager dans une expérience innovante de chantier «zéro déchet».

Gestion optimale

En amont du projet, les architectes de Pilet & Renaud ont sélectionné les entreprises et artisans de la région les mieux à même de s’impliquer. Plâtrerie, peinture, électricité, menuiserie… les divers corps de métier disposent d’un cahier des charges précis, portant sur la gestion des déchets. Pas question de tout mettre en vrac dans d’énormes containers à ordures: les déchets sont triés sur place, avant d’être évacués dans les filières d’élimination spécifiques. «Trop souvent, on se concentre sur la finalité, soit la baisse de l’IDC, en oubliant toutes les étapes qui y conduisent, elles-mêmes synonymes d’énergie grise et d’émissions de gaz à effet de serre», insiste Diane Barbier-Mueller, administratrice chez Pilet & Renaud.
A Carouge 87, une organisation réfléchie du chantier permet d’éviter, dans bien des cas, les protections au sol. Si ces dernières s’avèrent nécessaires, des rouleaux en tissu recyclés sont déployés, remplaçant les «traditionnelles» bâches en plastique; les textiles sont déplacés d’un appartement à l’autre, réutilisables jusqu’à leur usure complète. Quant aux bidons de vernis pour les parquets à restaurer, ils ne finissent pas à la benne: ils sont renvoyés au fournisseur qui les remplit régulièrement. Par ailleurs, les composants électriques obsolètes (câbles, plastique, métal, etc.) sont scrupuleusement séparés et répartis dans des sacs en jute, afin d’optimiser le recyclage. Diane Barbier-Mueller ajoute: «A leur tour, nos entreprises partenaires exigent de leurs fournisseurs de ne pas sur-emballer le matériel (équipements de cuisine par exemple) et de réduire les couches de protection, tout en maintenant bien entendu la qualité. Enfin, il ne faut pas oublier que pour les ouvriers, travailler sur un chantier propre est plus agréable et gratifiant».

Les fenêtres sont gardées telles quelles, bénéficiant d’un petit coup de peinture.
Les séparations en claire voie des combles ont été réemployées pour les caves.

Local et durable

Durant notre visite, l’architecte Achim Siegele, spécialiste en rénovation durable chez Pilet & Renaud, abonde en exemples, pointant du doigt tout ce qui a pu être conservé: les sols, en parquet et carrelage – pour autant qu’il soient encore dans un état satisfaisant – sont nettoyés et polis. Ils confèrent d’ailleurs aux appartements et aux communs de l’immeuble un charme unique. Là où un désamiantage, et par conséquent le démantèlement complet des revêtements de sol, a été nécessaire, une partie des carreaux est revalorisée dans les logements voisins, notamment pour réparer des endroits défectueux. Les fenêtres (double vitrage) sont gardées telles quelles, bénéficiant d’un petit coup de peinture. Les portes palières sont maintenues et renforcées, afin de répondre aux directives «coupe-feu». «Pour les cuisines, nous avons posé des faïences (recyclées) uniquement là où c’était indispensable, comme la crédence, précise l’architecte. Idem dans les salles de bains».
Autre exemple de réemploi astucieux: au sous-sol de l’immeuble, la citerne à mazout a perdu sa fonction initiale, puisqu’un système de pompe à chaleur est prévu; la cuve collectera donc l’eau de pluie qui servira à alimenter les WC du bâtiment (80% des besoins en eau couverts). Dans les caves, des poutres en bois – provenant de l’ancien abri de protection civile – ont été retravaillées et réemployées afin de solidifier les plafonds, affaissés avec le temps.
«Nous tenons à privilégier les circuits courts, avec des matériaux de provenance suisse», poursuit Diane Barbier-Mueller. Ainsi, le bois des nouveaux parquets est du chêne local». Les solvants polluants sont proscrits et les peintures exemptes de biocides. L’entreprise de peinture a investi dans une machine lui permettant de nettoyer son matériel à l’eau, sur place et en circuit fermé. Finis les seaux d’eau polluée à la peinture qui finissent dans les toilettes de chantier ou les pinceaux et rouleaux jetés après un usage unique!

Les bonnes pratiques

Pour les porteurs de projet, il s’agit en outre de sensibiliser les locataires à de nouvelles manières de vivre dans leur logement. Les baignoires d’origine ont ainsi cédé la place à des douches, plus économes en eau. Les entreprises œuvrant dans la construction sont également incitées à changer leur comportement. Car très souvent, pour gagner du temps et/ou de l’argent, mais aussi par simple habitude, des solutions peu respectueuses de l’environnement étaient mises en œuvre.
Qu’en est-il du prix des travaux par rapport à un chantier classique? Achim Siegele indique qu’il faut compter un surcoût d’environ 8%: «Étonnant peut-être puisqu’on va dans le sens du réemploi, mais cela s’explique par le temps supplémentaire consacré aux études préliminaires, au tri des déchets et au suivi des travaux». La première en Suisse à mener une démarche aussi globale et impliquant les divers corps de métier, l’équipe de Pilet & Renaud entend transposer le modèle à toute opération de rénovation. «Et si d’autres nous ‘copient’, tant mieux, conclut avec enthousiasme l’administratrice de la régie immobilière genevoise. Les services de l’Etat et SIG nous ont déjà sollicités pour partager nos expériences». A l’évidence: réduire l’impact sur l’environnement à la source est une démarche inspirante et bénéfique à tous!

 

Véronique Stein

 

Voir aussi Le Journal de l’Immobilier n°34,
du 1er juin 2022: «Pilet & Renaud s’engage. Transition énergétique et patrimoine immobilier».