MARCHÉ IMMOBILIER
Taux d’intérêt en baisse: un contexte favorable
Le contexte économique suisse oscille entre deux tendances contrastées: d’une part, une demande internationale encore atone – la croissance économique reste faible en zone euro (prévision 2025: +0,8 % selon le FMI) et même quasi nulle en Allemagne. Aux Etats-Unis, le ralentissement est marqué, avec une prévision de +1,8 % en 2025 après +2,8 % en 2024. À cela s’ajoutent les incertitudes sur le commerce mondial, exacerbées par les menaces de droits de douane de l’administration Trump. D’autre part, la demande intérieure suisse reste robuste: la baisse de l’inflation redonne du pouvoir d’achat et stimule la consommation, tandis que le retour à des taux d’intérêt bas favorise l’investissement.
Le bon moment pour se décider.
Malgré les incertitudes géopolitiques et commerciales, le contexte économique suisse reste globalement favorable au marché immobilier. La principale raison en est la baisse des taux d’intérêt: depuis mars 2025, le taux directeur est à 0,25% et tout indique que nous nous dirigeons vers un contexte de taux durablement bas. Le retour au taux zéro devient même de plus en plus probable: premièrement, l’inflation, tombée à 0% en avril, reste inconfortablement basse malgré les baisses de taux déjà effectuées; deuxièmement, le franc suisse continue de s’apprécier, notamment face au dollar, et les baisses de taux attendues de la BCE accentueront encore la pression à l’appréciation face à l’euro. Cette appréciation du franc accroît le risque de déflation et pèse sur l’industrie exportatrice, ce qui devrait renforcer l’incitation de la BNS à abaisser encore ses taux.
Le contexte de taux d’intérêt faibles stimule fortement la demande de logement en propriété et donne un nouveau coup d’accélérateur à la dynamique de prix. Parallèlement, l’activité de construction s’intensifie, portée par la demande et les conditions de financement favorables. L’offre devrait néanmoins demeurer déficitaire par rapport à la forte demande.
Logements en propriété –
l’accélération des prix s’accentue au 1er trimestre
Avec la baisse des coûts de financement, la demande pour les logements en propriété atteint des sommets. Dans le canton de Genève, les abonnements de recherche pour des appartements en PPE ont bondi de près de 30% entre mai 2024 et mai 2025, et c’est même près de 40% dans la région lausannoise. Outre les taux bas, cette demande est soutenue par le manque d’alternatives sur le marché locatif, par la croissance démographique (+1,0% en 2024 et +0,9% prévus pour 2025, soit environ 80 000 résidents supplémentaires), ainsi que par l’accroissement de la fortune nette des ménages (+13% entre 2019 et 2024), qui renforce leur pouvoir d’achat immobilier.
L’offre, en revanche, reste limitée en Suisse romande. Le nombre d’annonces pour des appartements en PPE a reculé dans tous les cantons: −4% dans le canton de Vaud, et même −9% à Fribourg et Genève (au 1er trimestre 2025 par rapport au même trimestre de 2024). Si l’on observe bien une reprise de l’activité de construction – notamment une forte hausse des permis de construire en 2024 par rapport à 2023 dans de nombreuses régions -, cette dynamique ne se traduit pas encore dans l’offre disponible.
Ce déséquilibre entre forte demande et offre restreinte explique l’accélération récente des prix. Au niveau national, les prix des PPE ont progressé de 4,4% sur un an au 1er trimestre 2025, et ceux des maisons individuelles de 4,7%. En Suisse romande, les hausses ont aussi été marquées. Les prix des maisons individuelles ont crû de 2,9% dans le canton de Genève, renouant ainsi avec une croissance positive après une légère correction en 2024; ils ont progressé de 5,5% dans le canton de Vaud, et même de plus de 7% sur un an à Fribourg, Neuchâtel et dans le Jura. Pour les appartements en PPE, la croissance est un peu plus modérée mais reste soutenue, avec +4,0% dans le canton de Vaud, +4,4% à Genève et des hausses plus fortes à Fribourg (+5,2%) et en Valais (+6,3%), ces deux cantons étant plus dynamiques sur le plan démographique.
La tendance haussière devrait se maintenir tout au long de l’année 2025. A l’échelle nationale, les prévisions tablent sur une augmentation de 3,6% pour les PPE et de 3,8% pour les maisons individuelles. En Suisse romande, les prix des appartements en PPE devraient progresser de 4,3% à Genève, de 3,3% sur l’Arc lémanique, et de 4,1% en Valais. Pour les maisons individuelles, la hausse des prix devrait être plus modérée sur l’Arc lémanique (+0,9%), mais rester dynamique en Suisse occidentale (+3,7%) et en Valais (+4,4%).
Atlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Vaud.
Atlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Genève.
Logements locatifs – une hausse des loyers plus modérée en 2025
Le contexte actuel, marqué par la baisse des taux d’intérêt, la raréfaction des alternatives de placement à l’immobilier et une forte demande de logement, est globalement plus favorable à l’émergence de nouveaux projets de construction. On observe d’ailleurs une augmentation significative du nombre de logements locatifs autorisés à la construction: sur l’ensemble des six cantons romands, quelque 8750 logements ont été autorisés au 1er trimestre 2025 (cumul sur un an), soit une hausse de plus de 30% par rapport à la même période de l’année précédente. Nous prévoyons par ailleurs une hausse des investissements dans la construction neuve, estimée à 6% en 2025 pour les immeubles multifamiliaux en Suisse.
Il convient toutefois de rester prudent. D’une part, les projets de construction mettent du temps à arriver sur le marché. D’autre part, le manque et le coût élevé des terrains à bâtir, les oppositions aux projets, ainsi que des réglementations et normes toujours plus strictes — notamment en matière de durabilité — continuent de freiner la dynamique. De plus, les contraintes d’aménagement du territoire font qu’un nombre croissant de projets ne concernent pas des terrains vierges, mais des constructions de remplacement. Par exemple, les statistiques pour le canton de Zurich montrent que pour quatre logements nouvellement construits, un logement doit être démoli. Ainsi, l’intensification des investissements ne se traduira pas nécessairement par une augmentation équivalente du nombre net de logements.
Pour l’instant, l’offre reste très restreinte sur le marché locatif. On observe certes une légère augmentation au 1er trimestre 2025, mais dans tous les cantons romands, le taux d’offre demeure très largement inférieur à sa moyenne des dix dernières années, reflétant la persistance d’une forte tension sur le marché, d’autant plus que la croissance démographique se poursuit et accentue les besoins en logement.
Dans ce contexte, les hausses de loyers continuent en Suisse romande, allant d’une hausse modérée de 1,0% à Genève jusqu’à 4,7% en Valais au 1er trimestre 2025. Toutefois, une tendance à la décélération se dessine: tous les cantons romands affichent un taux de croissance annuel inférieur à celui observé six mois plus tôt (au 3e trimestre 2024). Ainsi, dans le canton de Vaud, la hausse des loyers est passée de 6,6% à 3,7%, et à Genève, de 3,9% à 1,0%.
Pour l’ensemble de 2025, les loyers devraient évoluer de façon contrastée. Pour les locataires en place, l’année pourrait offrir un peu de répit. La baisse du taux de référence hypothécaire, passé de 1,75% à 1,5% en mars 2025, permettra à de nombreux ménages de demander une réduction de loyer. Les bailleurs pourront toutefois faire valoir l’inflation et la hausse des coûts d’exploitation depuis le dernier ajustement des contrats. Globalement, on s’attend donc à une diminution modérée des loyers existants, de l’ordre de −0,9% en moyenne nationale.
En revanche, pour les ménages en recherche de logement, la situation devrait rester tendue. La demande excède toujours largement l’offre, ce qui laisse prévoir une poursuite de la hausse des loyers de l’offre en 2025. Toutefois, cette hausse sera plus modérée que l’année dernière. D’une part, la baisse des taux d’intérêt rend l’accession à la propriété plus attrayante par rapport à la location, ce qui déplace une partie de la demande. D’autre part, la baisse des loyers en cours exercera un effet modérateur indirect sur les loyers de l’offre. On anticipe ainsi des hausses de 1,7% sur l’ensemble de la Suisse, de 2,2% dans le canton de Genève, de 1,8% sur l’Arc lémanique et de 2,5% en Valais.
CORINNE DUBOIS, VINCENT CLAPASSON
©WÜEST PARTNER SA
ET LE JOURNAL DE L’IMMOBILIER
Thème spécial
Changement climatique: les risques pour le parc immobilier suisse
Le réchauffement climatique ne cesse de progresser: en 2024, pour la première fois, la température moyenne mondiale a dépassé de plus de 1,5°C les niveaux préindustriels. Les vagues de chaleur, les intempéries et les fortes pluies deviennent plus fréquentes et plus intenses — le parc immobilier suisse n’est pas épargné. Les dégâts peuvent en effet être considérables: selon l’Association suisse d’assurance (ASA), les intempéries de l’été 2024 ont causé entre 160 et 200 millions de francs de dommages en Valais et au Tessin.
Face à ce constat, une récente étude de Wüest Partner, menée en collaboration avec CLIMADA, explore l’évolution des risques climatiques en Suisse. Pour chaque bâtiment du pays, l’analyse évalue le risque futur de dommages liés aux fortes pluies, canicules, tempêtes et crues.
L’évolution de ces risques dépend de nombreux facteurs: comportements individuels, politiques de durabilité, évolutions sociales et géopolitiques. Nous présentons ici les résultats pour un scénario «médian», c’est-à-dire une trajectoire modérée sans orientation nette vers plus ou moins de durabilité. Dans ce scénario, économie et politique suivent le modèle actuel, avec des avancées limitées en matière de réduction des émissions. Dans la suite, nous passons en revue les principaux risques climatiques, leurs impacts sur l’immobilier suisse et la proportion de bâtiments concernés selon ce scénario médian.
Fortes pluies
Les fortes pluies peuvent provoquer des crues soudaines, saturer les canalisations et entraîner des infiltrations d’eau dans les sous-sols et les rez-de-chaussée. Des systèmes d’évacuation sous-dimensionnés, comme des gouttières inadaptées, exposent aussi toitures et façades à des dégâts. L’humidité prolongée ou l’eau stagnante fragilisent par ailleurs les fondations, l’isolation et les murs, menaçant la structure du bâtiment et favorisant l’apparition de moisissures.
En l’an 2000, environ 20% des bâtiments suisses faisaient face à un risque élevé lié aux fortes pluies. Selon le scénario médian, cette proportion pourrait grimper à plus d’un tiers d’ici 2030, à près de la moitié d’ici 2050 et atteindrait même 90% dans 50 ans.
Aujourd’hui, le risque est particulièrement marqué dans les Alpes et les hautes montagnes — comme l’ont illustré les précipitations dévastatrices de l’été 2024 en Valais et au Tessin. Avec le réchauffement climatique, les pluies deviendront plus intenses et la menace s’étendra, touchant d’ici 25 ans une large part des bâtiments en zones préalpines. En revanche, l’Arc lémanique, Neuchâtel et le Jura devraient rester relativement préservés.
Part des bâtiments du parc immobilier suisse exposés aux risques climatiques (par type de risque et par année) – selon le scénario médian.
Notes: le scénario médian désigne un développement modéré sans tendances claires vers plus ou moins de durabilité. L’évolution de l’économie et de la politique reste alignée sur le modèle actuel, avec des progrès seulement limités en termes de réduction des émissions.
Les tempêtes peuvent endommager gravement les bâtiments.
Canicule
La montée des températures accentue la dilatation et l’usure des matériaux, mettant à mal la structure des bâtiments. La chaleur réduit aussi l’efficacité des systèmes de refroidissement et de ventilation, augmentant la consommation énergétique. À l’intérieur, des espaces surchauffés détériorent la qualité de vie et peuvent affecter la santé des occupants. Aujourd’hui, la canicule reste une menace marginale en Suisse: seuls 0,5 % des bâtiments sont concernés. Mais cette part pourrait grimper fortement, atteignant jusqu’à 40% de l’ensemble du parc immobilier d’ici 2080. L’Arc lémanique, avec ses températures moyennes plus élevées et son environnement densément bétonné, figure parmi les zones les plus exposées, aux côtés de certaines régions du Tessin, comme Lugano et Mendrisio.
Tempêtes
Les tempêtes peuvent arracher des toits, endommager façades, fenêtres et portes en projetant des objets. Les chutes de branches ou d’arbres représentent un danger majeur pour les bâtiments. De plus, les vents violents risquent de détacher échafaudages ou éléments de construction mal fixés, mettant en péril à la fois les personnes et les structures.
L’évolution des tempêtes reste difficile à prévoir, car elle dépend de phénomènes locaux complexes et variables. Selon le scénario médian, la part de bâtiments exposés au risque devrait néanmoins augmenter sensiblement. Le Valais, Neuchâtel et le Jura figurent parmi les zones les plus concernées, tandis que la région lémanique devrait rester relativement épargnée.
Crues
Les crues désignent la montée progressive des eaux après de fortes pluies étendues ou la fonte des neiges. Elles peuvent submerger les bâtiments, endommager structures, installations électriques et aménagements, favoriser l’apparition de moisissures et affaiblir la capacité portante des murs et fondations. S’y ajoutent les risques de refoulement des égouts et de contamination par des eaux usées ou des substances nocives.
Même si les pluies violentes augmentent globalement, la menace de crues fluviales tend à reculer en Suisse dans les prochaines décennies. Les prévisions actuelles annoncent une baisse des précipitations intenses et prolongées, principales causes de crues, et les mesures de protection devraient se renforcer, limitant l’exposition.
Aujourd’hui, moins de 2% des bâtiments suisses sont exposés à un danger élevé ou très élevé de crue, une proportion qui devrait rester stable, voire légèrement baisser, dans les décennies à venir. Toutefois, localement, les enjeux restent importants: plus de 10% des bâtiments dans les régions d’Yverdon, de La Vallée (Vaud) et de Martigny sont ainsi exposés à un risque élevé de crue.