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événement - «Essentiel de la finance» de la BCGE

Rénovation énergétique: quelle rentabilité?

25 Oct 2023 | Articles de Une

Chaque automne depuis 20 ans, sauf en période de pandémie mondiale évidemment, l’«Essentiel de la finance», surnommé le «petit Davos», est organisé par la Banque cantonale de Genève. Cette série de séminaires de haut niveau, rassemblant des décideurs économiques et politiques, comprend toujours un volet immobilier, qui a réuni cette année un panel de spécialistes autour de la rénovation énergétique des bâtiments et de sa rentabilité espérée. Les débats ont été animés par notre rédacteur en chef Thierry Oppikofer.

Après une introduction de la responsable du département Immobilier & Construction de la BCGE, Sylvie Hoecht, l’économiste en chef de la Banque, Valérie Lemaigre, a présenté les perspectives économiques 2023-2024, soulignant que si les investissements des entreprises suisses semblaient ne pas souffrir de l’instabilité mondiale, le secteur de la construction, lui, souffrait beaucoup, notamment de la pénurie de main-d’œuvre et de la hausse des taux d’intérêt. «Nous sommes néanmoins plutôt dans une phase de tassement cyclique que de rupture», a rassuré l’oratrice. Innover, assumer la transition numérique et technologique, miser sur une immigration qualitative, considérer les mesures de réduction de l’empreinte carbone comme des opportunités et non seulement des contraintes: telles sont les pistes à suivre dans un univers où l’inflation (de 1% à 2%) et le niveau des taux hypothécaires (2,9%) restent encore «pas trop méchants». D’ailleurs, la progression des crédits aux particuliers se poursuit, à un rythme – un peu plus modéré qu’il y a quelques mois – de 2,1%, tandis que les prix immobiliers connaissent une stagnation, voire un léger recul (-0,6% à Genève dans le résidentiel).

Suisse: investissement des entreprises.

Le changement, c’est maintenant

Associé du cabinet Carbone 4 à Paris – qui accompagne les entreprises et les institutions dans la réduction de leur empreinte carbone -, Alain Grandjean a ensuite dressé un tableau préoccupant de la situation climatique, soulignant néanmoins un élément positif: celui de la prise de conscience planétaire du problème. La Suisse, a-t-il relevé, est dotée de deux outils de référence en Europe, Météo Suisse et le Centre suisse de calcul scientifique (CCS) à Lugano. Décarboner l’énergie est une tâche titanesque, qui a déjà commencé et dont les réussites sont quelque peu masquées par la croissance mondiale, qui exige toujours plus d’énergie. La guerre d’Ukraine a rendu évidente la dépendance européenne aux énergies fossiles (qui représentent 80% des émissions de gaz à effet de serre). L’immobilier, on le sait, produit chez nous 25% du CO2 global en consommant 40% de l’énergie. L’un des risques du dérèglement climatique sur l’immobilier est la rétractation des argiles, qui provoque de nombreux sinistres (fissures des structures du bâtiment). L’orateur estime que 15% à 20% d’économies peuvent être obtenus par de simples gestes intelligents (thermostats performants, travaux d’isolation, etc.), mais que dans le cas du patrimoine de l’Etat, par exemple, ou de rénovations lourdes, l’économie réalisée sera difficilement amortie. Néanmoins, au fil des années voire des mois, les «mauvais» immeubles vont clairement être dévalorisés par rapport aux «bons élèves». Ainsi, pour conserver la valeur des actifs, la rénovation énergétique s’imposera à tous les propriétaires.

Loi sur l’énergie… gelée

Dirigeant le Service juridique de l’Office cantonal de l’énergie, l’avocate Marie Savary a ensuite présenté avec talent et clarté le Plan directeur de l’énergie du canton de Genève, que nos lecteurs auront pu retrouver dans notre No 91, du 20 septembre 2023 (disponible sur jim.media). Ce Plan, axé sur la loi genevoise et son règlement d’application, devait subir le soir même une attaque en règle au Grand Conseil, la droite et le centre parlementaires estimant que l’Etat faisait excessivement peser sur les propriétaires le poids du financement des mesures drastiques prévues pour réduire de 60% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et parvenir à la neutralité carbone en 2050. On connaît la suite: le président du Conseil d’Etat Antonio Hodgers devait bloquer, fin septembre, l’application de la décision du Grand Conseil (remplacer l’Indice de dépense de chaleur (IDC) par le système de certification CECB en usage dans les autres cantons) au moyen de l’article 109, alinéa 5, de la Constitution cantonale, permettant au Gouvernement de «geler» une loi. Désormais, six mois de négociation devraient permettre de sortir de l’impasse.
Autant dire que l’exposé exhaustif des effets du règlement genevois et des travaux énergétiques en lien avec le droit du bail fédéral et la fameuse LDTR (Loi genevoise sur les démolitions, transformations et rénovations d’immeubles), exécuté avec brio par le professeur François Bellanger, s’il n’a rien perdu de sa pertinence, mérite d’être conservé en référence, dans l’attente d’une part de quelques décisions fédérales et d’autre part de l’aboutissement des négociations cantonales (la présentation complète, comme celle des autres intervenants, est disponible sur la chaîne Youtube de la BCGE). Il n’empêche que la LDTR, avec son plafonnement des loyers et, au cas où un report partiel des coûts peut être admis, la soumission à un contrôle étatique strict durant plusieurs années, déploie un effet dissuasif sur les propriétaires, les incitant à reporter les dépenses de rénovation.

Une spécialité genevoise

Yves Cachemaille, spécialiste des Evaluations chez CBRE, le cabinet de conseil immobilier international bien connu, a conclu la matinée par une présentation synthétique de la manière dont les rénovations énergétiques pouvaient influer sur la valeur des immeubles. Pour atteindre les objectifs officiels, quelque 60% des immeubles devraient subir des rénovations relativement lourdes au cours des vingt-sept prochaines années, soit moins d’un cycle immobilier (généralement évalué à 30 ans). L’expert souligne qu’un tel volume de travaux n’a jamais été réalisé auparavant et que les matériaux, comme la main-d’œuvre, vont certainement manquer. La filière CFC vaudoise pour les installations de panneaux solaires, récemment lancée, a par exemple recueilli… zéro inscription. L’orateur examina ensuite, sur la base d’un cas pratique, l’effet d’investissements énergétiques sur la rentabilité d’un immeuble.
Sa conclusion est apparemment rassurante: dans un premier cas, la valeur de l’actif après travaux est identique. Néanmoins, pour un bâtiment valant 6 millions, quelque 750 000 francs ont été investis et ne peuvent être amortis. Yves Cachemaille refait ensuite son calcul en éliminant l’effet de la LDTR: en quelques années, les travaux énergétiques sont rentabilisés. A n’en pas douter, la nécessité de lutter contre le dérèglement climatique, qui se heurte déjà à la protection du patrimoine bâti, va entrer un jour ou l’autre en conflit avec les gardiens du temple de la LDTR, devenu un mammouth administratif ankylosant, si ce n’est paralysant.

 

Vincent Naville