Nouveau monde ou fin du monde?

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On ne pense qu’à ça

24 Août 2022 | Articles de Une

 C’est dit et répété chaque jour… depuis la guerre en Ukraine, depuis le virus mutant, depuis la crise climatique: «Nous avons changé d’époque»; mais très vite, on revient au train-train quotidien. Politique de l’autruche, ou embarras qui pousse à parler d’autre chose… alors même qu’on ne pense qu’à ça?

«Y’a qu’à»: c’est le titre d’une chanson de Jean Villard-Gilles, poète jadis connu des rives de la Venoge à celles de la Seine. Après avoir chanté les «Y’a qu’à» que le progrès tenait pour acquis… comme «Y’a qu’à téléphoner», l’auteur concluait que même pour faire la paix entre les deux Super-Grands de l’époque, «Y’a qu’à» (hélas! cette chanson est snobée par Google). De même alors, un documentaire américain sur l’arme atomique larguée au Japon ne voyait dans cette horreur que «le seuil d’une époque de bonheur et progrès continu» (cité de mémoire). C’est dire l’optimisme que génèra la «Victoire» à la fin de la Seconde (ou Deuxième?) Guerre mondiale comme après toute grande épreuve. On croyait dur comme fer que l’indépendance des colonies couvrirait la Terre de démocraties, que la révolution sociale ou technique ferait de tout Terrien un Crésus, que les virus ne seraient plus visibles qu’au Museum…

Les gourous ont-ils une science?

Curieux: bien que la science avance plus vite que jamais, bien que les droits pullulent comme des lapins, l’avenir s’est désenchanté. Le vaccin sait vaincre le virus, mais on voit d’emblée son passif… on rêve encore de paix, mais par conquête du monde… et seul le climat laisse encore le «Y’a qu’à» se donner libre cours: «Y’a qu’à oublier le pétrole… y’a qu’à mettre les cimentiers en prison… y’a qu’à revenir aux moulins». Mais y croit-on, ou n’est-ce qu’une tirade mélo pour rester sur scène? Ou pis, un tic de maître à penser qui tourne à vide? Et prêt à se saisir de causes frivoles pour masquer son désarroi: à la une des journaux cet été, même la crise climatique cède le pas aux salaires à hausser, aux seins à cacher, aux vacances à dorer… valeurs sûres du jeu de rôles entre l’Avenir Radieux et l’Ancien Régime. L’esprit du temps a basculé très vite: l’an 2000 encore était chargé de symboles; pas facile de douter alors, pour les avocat(e)s des bonnes causes. Il a eu du cran, ce chef de syndicat qui au tournant du siècle – lors d’un forum sur le chômage à l’Organisation mondiale du travail – osa dire «Nous devons lancer des ponts sur un fleuve dont nous ignorons la largeur».

Une erreur, le bonheur?

Et soudain, l’adage de Lao Tseu – «Celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne parle pas» – prend tout son sens. A un savant, cette phrase semble inepte: si qui sait se tait, c’en est fait de la culture. Et du progrès: «Savoir, c’est pouvoir» fut – depuis Francis Bacon – le credo des temps modernes. Pourquoi, désormais, la rationalité est-elle impuissante… comme le montre ces jours encore le coup d’épée dans l’eau d’Hadi Matar? Pourquoi sent-on que «les Trente Glorieuses» ne seront pas «Cent» car «tout système meurt de ce qui a fait son succès initial»? Pourquoi écrit-on de nouveau à foison sur la «Guerre de Trente Ans» qui ne semble pas faire peur à l’Est?

L’hypocrisie, notre dernière chance?

«L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu»: cet été au forum sur les armes les plus «intelligentes» sinon «conscientes» (unidir.org), les délégués de Russie et de Chine n’ont eu que les «droits de l’homme» à la bouche. Les experts des Etats-Unis se souciant encore plus du sexe des armes («Does Military Artificial Intelligence Have Gender?», demande une brochure). Par contre, les appels sensés du Secrétaire général des Nations Unies aux régimes qui usaient de la menace nucléaire de manière «irresponsable» sont déjà couverts par le bruit des armes. «Nous, le peuple, nous voulons la Paix»: le titre de ce livre – qui traînait ces temps dans les couloirs du Palais – dit-il vrai?

Le droit, otage de ses docteurs

Les politiciens de terrain et les juristes des principes parlent-ils encore la même langue et vivent-ils encore dans le même monde? Juste en face du et aux mêmes dates que le forum sur les armes (voir plus haut), la Commission du droit international (legal.un.org) a poursuivi cet été son travail de fourmi entamé en 1947. Réunion publique mais sans le moindre effort de comm’: les «bons» mots peuvent-ils encore tenir en respect le mal… ce pourrait être l’enjeu d’un prochain article.

 

Boris Engelson