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habitat - Rénovation de l’habitat collectif

Les contraintes multiples de projets complexes

13 Déc 2023 | Articles de Une

Comment concilier rénovation du parc immobilier, maintien de la valeur locative et décarbonation des bâtiments? Lors d’un afterwork organisé à Renens/VD par le bureau Willi Ingénieurs SA, trois intervenants ont tenté de répondre à cette question, véritable nœud gordien: Emanuel von Graffenried, directeur associé de BN Conseils au sein du Groupe Bernard Nicod; Yves Roulet, chef du service domaines et bâtiments à la Tour-de-Peilz et Edgar Haldimann, responsable du segment immobilier à Romande Energie.

Le constat d’Emanuel von Graffenried est sans appel: quelque 80% du parc bâti qui sera utilisé en 2050 existe déjà et 1,8 million de bâtiments d’habitation ont un besoin de rénovation. Cette nécessité est rendue plus aiguë encore par l’évolution du cadre règlementaire. «Un investissement d’impact devient inévitable», affirme-t-il, c’est-à-dire un investissement qui maximise l’utilité environnementale et sociale des projets. L’enjeu est de trouver le bon équilibre, afin de préserver la valeur et le rendement des biens.
Dans ce contexte, il voit trois risques principaux pour les propriétaires et investisseurs. L’objet tout d’abord: négliger d’entretenir ou rénover son immeuble, c’est courir le danger d’un état locatif bloqué dans un contexte de charges croissantes, donc de perte de substance du bien. Les changements de réglementation ensuite. Mieux vaut les anticiper qu’être à la traîne. Le marché enfin: les «passoires énergétiques» vont subir une décote.
Comment agir? Finie l’époque où l’on levait le doigt pour sentir le vent. La méthode de BN Conseils repose sur la collecte de nombreuses données qui permettront de trancher entre quatre scénarios possibles: le désengagement par une vente en l’état; l’entretien sans revalorisation, qui débouchera sur une vente à terme, assure Emanuel von Graffenried; le maintien en l’état, si la note d’efficience énergétique le permet, et le développement, notamment par l’ajout d’étages et la quête d’un impact positif sur l’environnement, combinée à la maximisation du rendement locatif.

Un cumul d’avantages

Cette dernière approche cumule les avantages, affirme l’orateur. Elle permet d’optimiser le rendement, elle fait baisser les charges générales du bâtiment, ainsi que le taux de vacance, elle accroît le confort des habitants, améliore le bilan carbone de l’immeuble et soigne la réputation du propriétaire. Dans le cas d’une surélévation, Emanuel von Graffenried recommande le bois, qui peut faire gagner de nombreux mois de travaux par rapport au béton et éviter une perte locative trop importante.
Edgar Haldimann souligne que la demande d’énergie fossile continue de croître. Dans un monde fini, cela poussera tendanciellement les prix vers le haut, avec des répercussions sur l’électricité. Ainsi, depuis 2016, le prix du gaz a augmenté de 330%, celui du pétrole de 218% et celui de l’électricité de 308%. Et prix élevés ne riment pas nécessairement avec abondance: Romande
Energie et ses consœurs peinent parfois à se procurer les quantités requises pour leurs contrats à terme. Ainsi, sur les principales sources d’énergie, un risque de pression sur les consommateurs existe. C’est pourquoi la tendance régulatrice est inévitable.

Trois niveaux d’action

Du point de vue de la gestion de l’énergie, Edgar Haldimann voit trois temporalités dans la gestion d’un parc immobilier. La première consiste en un audit énergétique qui débouche sur une optimisation thermique et la mise en compatibilité du bâtiment avec la mobilité électrique. Ces actions, simples et rapides, ne requièrent pas d’autorisation de construire et apportent des gains immédiats. Le second niveau ajoute la pose d’installations photovoltaïques, le raccordement à un réseau de chauffage à distance ou l’installation de pompes à chaleur. Le troisième niveau aborde l’isolation bas carbone, la surélévation et la rénovation totale, voire une approche par quartier incluant une centrale de chauffe commune à plusieurs immeubles.
Pour une Municipalité, l’enjeu quant aux bâtiments administratifs est d’en maintenir la valeur, d’en maîtriser les coûts d’entretien et d’exploitation, explique Yves Roulet. Mais, souvent, les collectivités publiques possèdent également des immeubles locatifs, pour lesquels le rendement mais aussi l’exemplarité et la compétitivité de la gestion sont des paramètres importants. Par exemplarité, il faut entendre les économies d’énergie, la décarbonation, le recours à des matériaux sains recyclables ou recyclés et aux énergies renouvelables, la dimension sociale et le maintien de la valeur patrimoniale et de rendement du bâtiment. A la Tour-de-Peilz, précise Yves Roulet, les revenus du parc locatif communal représentent trois points d’impôt.
Les communes se heurtent également à des difficultés qui, pour certaines, sont partagées par les propriétaires privés, tels le manque de main-d’œuvre qualifiée ou la complexité des exigences administratives. Les contraintes spécifiques aux entités publiques sont la maîtrise des coûts dans un contexte de processus décisionnels parfois longs, le maintien de loyers abordables après travaux et l’exigence d’un rendement optimal sur un patrimoine financé en fonds propres. Pour les communes aussi, la surélévation apparaît comme une option intéressante pour traiter ce qui peut s’apparenter à une quadrature du cercle.
En 2050, date-cible fixée par la Confédération pour atteindre la neutralité climatique, la Suisse n’aura pas rénové tout son parc immobilier, estime Edgar Haldimann; il n’y aura cependant plus de passoire énergétique. Mais l’actualité de 2050, ce sera la surchaleur. Faudra-t-il rénover pour s’en protéger?, interroge-t-il dans une invite à regarder aussi loin que possible.

 

Cesare Accardi