Evolution annuelle des loyers sans changement de locataire, avec changement de locataire comparé à l’indice des prix à la consommation.

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société - Genève mesure son niveau de bonheur

Le bien-être, un projet fédérateur!

22 Nov 2023 | Articles de Une

Pandémie, guerres, inflation, catastrophes naturelles… la liste est longue et il y a de quoi déprimer. Afin de donner une impulsion positive, un groupe de réflexion apolitique a lancé une initiative originale. Son but: se pencher sans dogmatisme sur la question du bonheur à Genève et définir des indicateurs alternatifs au produit intérieur brut. Sommes-nous face à de doux rêveurs? Pas forcément, car la croissance économique ne peut pas être le seul élément d’évaluation d’une société; la qualité de vie devrait elle aussi être mesurée.

«Il s’agit de dépasser le PIB, qui se base sur des données quantitatives, pour développer des indicateurs qualitatifs, lance d’emblée Félix Urech, conseiller d’entreprise et professeur. La richesse d’une population est également liée aux valeurs du bien-être individuel et collectif. Ces dernières sont précises et mesurables». Fort de ce constat, un groupe* – appelé Future Tank avec son slogan «réinventer Genève ou les outils du futur» – s’est constitué en décembre 2016 pour débattre de l’avenir du canton et évoquer les grands enjeux sociétaux.
Inspirée notamment par la notion de Bonheur National Brut développée par un pays asiatique un peu plus petit que la Suisse, le royaume du Bhoutan, et les critères du développement durable des Nations Unies, l’équipe a pour objectif d’élever la réflexion au-delà des affrontements partisans incarnés par les partis politiques traditionnels. «Dans un environnement où il est de bon ton d’opposer les classes sociales, les genres, les automobilistes contre les autres usagers de la route, les vieux contre les jeunes, la voie du bien-vivre ensemble, incarnée par le Bonheur Cantonal Brut, s’impose comme une évidence», affirme Olivier Rigot, économiste et membre du Comité de Future Tank. Durant plusieurs années, le groupe a élaboré sa démarche et rencontré des citoyens afin de sonder leur conception du bonheur. Par ailleurs, il a rédigé un projet de loi sur le Bonheur Cantonal Brut, présenté à des députés et des membres du Conseil d’Etat. En 2019, à la suite d’une conférence de presse, un large engouement s’est fait sentir dans le public.
Le travail s’est alors poursuivi et la réflexion a évolué de la notion de bonheur, très philosophique et touchant à l’intimité des individus, vers celle de bien-être, davantage en lien avec l’idée de vie en société et de recherche du bien commun. En 2022, un mandat de recherche a été confié à une équipe de la Haute Ecole de Gestion (HEG), sous la direction du professeur Giovanni Ferro Luzzi. Cette étude – qui n’a pas la prétention d’être exhaustive – a le mérite de lancer des pistes d’amélioration du bien-être à Genève. L’indice de développement durable genevois, un outil pertinent, ainsi que l’approche du «donut» – qui mesure les limites planétaires et les seuils sociaux – mériteraient d’être approfondis. Certains thèmes comme la mobilité, la formation ou encore la sécurité pourraient être traités dans un second temps. «A terme, nous souhaitons disposer d’un indice composite permettant d’évaluer le bien-être à Genève et d’en suivre l’évolution, précise Félix Urech. Les résultats cette recherche et des suivantes ont pour but de servir d’aide aux décideurs politiques».

Indice des loyers sans changement de locataire comparé à l’indice genevois des prix à la consommation.
Loyers selon le nombre de pièces après changement de locataire.

A l’encontre des idées reçues

Est-ce que tout va si mal à Genève? interroge l’étude. Sur le plan de la dynamique économique, Genève est certainement l’une des collectivités au monde qui génère le plus de valeur ajoutée par habitant. Son tissu économique abrite de nombreuses sociétés développant une palette d’activités à l’international. Ces sociétés à haute valeur ajoutée, ainsi que le personnel employé, génèrent, année après année, des ressources fiscales très élevées pour l’Etat et les communes, qui ont permis de passer le cap de la crise Covid aisément et de mener une politique sociale la plus généreuse du pays (avec celle du canton de Bâle).
Même si beaucoup reste à faire pour vivre dans un environnement sain, l’étude souligne des améliorations notables de la qualité de l’air (les concentrations des particules fines et du dioxyde d’azote ont diminué) et de l’eau à Genève, bien que la pression soit forte sur certains linéaires de cours d’eau. La santé est un autre aspect d’importance touchant le niveau de bien-être de la population. Pour l’évaluer, on peut considérer les années potentielles de vie perdue à cause d’un décès survenu avant l’âge de 75 ans (approche utilisée par la Confédération pour mesurer l’évolution de la santé de la population). Ce critère démontre une amélioration de l’espérance de vie à Genève, qui se situe en très bonne position en comparaison suisse, prouvant l’efficacité de notre système de santé.
Autre domaine sur lequel se penche le Future Tank: celui des politiques sociales genevoises, parmi les plus généreuses du pays, voire du monde, puisque le budget du Département de la cohésion sociale atteint 2,3 milliards. «Certaines associations travaillant dans l’urgence sociale absolue ne perçoivent pas ou très peu de subventions de la part de l’Etat et ne peuvent remplir leur mission, par exemple celle consistant à distribuer un repas chaud par jour aux plus démunis de notre société», regrette toutefois Olivier Rigot.
En matière de chômage et malgré une baisse régulière de ce dernier, le canton de Genève demeure la lanterne rouge de la Suisse. L’étude des HEG s’est penchée sur cette question souvent clivante dans le débat politique, où le bouc émissaire des frontaliers est couramment brandi. «Il semble qu’il y ait de plus en plus une inadéquation entre les besoins de l’économie et le degré de spécialisation des demandeurs d’emploi, souligne Félix Urech. Dans un contexte mondial de raréfaction de la main-d’œuvre spécialisée, due au départ massif à la retraite de la génération des baby-boomers, la question de la formation et de l’immigration va revenir sur le devant de la scène de manière aiguë».

Les loyers ne flambent pas à
Genève

Le logement, son accessibilité et la cherté des loyers sont des sujets souvent évoqués parmi les préoccupations des Genevois. «L’étude des HEG se contente d’un indice global des loyers qui, à notre avis, ne reflète pas une situation plus complexe qui règne sur le marché de la location. Nous avons mené notre propre analyse, basée sur des données de l’Office cantonal de la statistique, afin de cerner l’évolution annuelle des loyers – sans et avec changement de locataire – comparé à l’indice des prix à la consommation», explique Olivier Rigot. Il en ressort que les personnes – soit 92% du marché – conservant leur appartement pendant de nombreuses années sont, dans la grande majorité, bien logées. Leurs loyers sont relativement raisonnables pour un grand centre urbain comme Genève. Ce constat tord le cou à l’idée répandue que les loyers flambent en permanence à Genève.
Le principal problème concerne ceux qui, souvent jeunes, cherchent un premier logement, ainsi que les familles qui s’agrandissent au fur et à mesure de la naissance des enfants. Entre le taux de vacance, historiquement très faible à Genève, et une adaptation des loyers aux conditions du marché, ces deux catégories de la population peinent à trouver des appartements à la mesure de leurs besoins et de leur budget. Certes, les ajustements de loyer lors de changement de locataire sont importants, mais ils doivent être mis en relation avec l’évolution du prix moyen par pièce, qui reste relativement stable au fil du temps.
Autre aspect intéressant sur lequel l’étude met le doigt: la crise du logement est exacerbée par un taux de divorce élevé (près de 50% des ménages) à Genève, tout comme dans d’autres métropoles. Il en découle, pour la famille qui se divise, qu’il faut trouver deux appartements pouvant recevoir alternativement les enfants dans le cadre de gardes partagées. Par ailleurs, certains logements sont surdimensionnés après le départ des enfants du cocon familial. «Il nous paraît important que ces divers paramètres soient (davantage) pris en compte par les politiques publiques lors de la construction de nouveaux quartiers à Genève», insiste Félix Urech.
Cette première étude sur le bien-être à Genève offre un éclairage alternatif aux principaux agrégats économiques. Elle rappelle que la véritable richesse de la population se construit sur les valeurs de bonheur et non pas uniquement sur des considérations matérielles et financières. Et contrairement à toute attente, il en ressort globalement un niveau de satisfaction important de la part de la population résidante à Genève. Pour Future Tank, les dirigeants politiques doivent s’investir afin d’améliorer cet indice de bonheur. Chaque année, des objectifs de progression pourraient être fixés et communiqués par les pouvoirs publics. Ils seraient mesurés annuellement en toute transparence.

 

Véronique Stein

GROS PLAN

* Des membres engagés de la société civile

 

Future Tank est un groupe représentatif, constitué de personnalités venant de tous les bords politiques, économiques, sociaux, et réunissant des hommes et des femmes d’expérience, mais aussi de jeunes issus de la société civile: Magali Orsini (fiscaliste, ancienne députée EAG au Grand Conseil), Dilara Bayrak (avocate, députée au Grand Conseil genevois et membre du parti des Verts), Marine Badan (communication-marketing), Félix Urech (conseiller d’entreprises, professeur), Alain Heck (juriste et économiste), Olivier Rigot (économiste), Christian Brunier (directeur général des SIG, ancien député PS au Grand Conseil,), Jacques Jeannerat (ancien directeur de la CCIG, député au Grand Conseil, membre du parti «Liberté et justice sociale») et Vincent Daher (entrepreneur).