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Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

Adieu l’Abbé, je t’aimais bien

2 Oct 2024 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

Les responsables connaissaient
les pratiques maladives de l’abbé
Pierre (…); on ne punit pas car on
veut protéger les institutions.

Dans sa fameuse analyse des «Mythologies» de 1957, Roland Barthes consacre un texte à l’abbé Pierre, devenu dès ces années-là une star de la bonté, une figure de proue de l’aide aux sans-logis. Barthes ne critique pas son action – Emmaüs ayant été fondé en 1949 – mais comme dans toutes ces transformations de faits en mythes, il voit dans cette fabrique de la bonne conscience un processus récurrent que la société se donne à elle-même.
La troisième partie du XXe siècle a vu apparaître des stars du christianisme comme l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle ou Guy Gilbert, le prêtre des loubards en perfecto de cuir. Or ce qui frappe est que ces personnages hypermédiatisés ont évolué plutôt en marge de la hiérarchie catholique. C’étaient des gens qui n’entraient pas dans le moule, mais étaient porteurs d’une spiritualité. Ils ont aujourd’hui disparu de notre horizon, mais ils correspondaient à une époque où le relativisme religieux (chacun a sa propre religion, nul besoin d’une institution commune, rigide et autoritaire) alimentait la marginalisation des figures spirituelles. L’Eglise actuelle, dont le message est devenu inaudible, avec le pape François et en raison de notre situation d’analphabétisme religieux, favorise leur disparition. Or à l’époque des années 1950-1980, durant la période relativiste, la sécularisation de l’Eglise n’était pas encore telle qu’on la connaît aujourd’hui.
Cela explique en partie la dissimulation de ces «cas douloureux», de ces prédations sexuelles en parfaite opposition à la propre morale de l’Eglise, qu’on évoquait jadis enrobés d’euphémismes, voire même d’expressions latines plutôt obscures pour la plupart, et qu’on ose nommer depuis quelques décennies seulement. On voulait maintenir une distance avec ces délits sexuels. Les responsables connaissaient les pratiques maladives de l’abbé Pierre, ils l’avaient d’ailleurs mis en retrait; mais à l’époque, on sermonne, on ne punit pas car on veut protéger les institutions. Les victimes ensuite ont donné de la voix et elles ont permis de dévoiler à tous l’ignominie de ces crimes pervers.