Entre «nouvelle classe» de grimpions et «c’est classe» des industries du luxe,
cet article explore deux des moult sens de «classe».

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hors champ

Les gens bien sont-ils au parfum?

3 Juil 2024 | Culture, histoire, philosophie

Quand la saison est trop chargée de sujets chauds, autant s’en tenir à un événement rafraîchissant. Après avoir traîné ses guêtres au Palais des Nations pour le Conseil des droits de l’homme, à l’Organisation mondiale du commerce qui tenait son annuel forum Aid for Trade, à la Maison de la Paix où se cachait le Sommet sur la négociation humanitaire, à Uni-Mail où un congrès Hors Norme de juristes a pendant deux jours vanté la «désobéissance» (et où un autre disait «Explorer la santé urbaine du point de vue des sciences sociales»)… le soussigné est allé se ressourcer à Palexpo, qui hébergeait le Congrès mondial de… la parfumerie. Pour constater que de tous les sujets qu’on vient d’égrener, c’est de loin la parfumerie qui a le plus de philosophie!

Avant de rendre hommage à ladite parfumerie, on va voir en quelques lignes en quoi les autres sujets manquaient de philosophie. Que les droits de l’homme soient un sujet lancinant et douloureux, nul n’en doute; le doute est ailleurs: les rituels de la «société civile» sont-ils ceux d’une «nouvelle classe» qui se nourrit (c’est le mot) des drames d’autrui? Lénine comme Djilas se sont eux-mêmes mordu les doigts d’avoir trop parié sur les «révolutionnaires professionnels». Assez pour le Palais des Nations, allons voir si les marchés – qu’on dit prompts à l’écoute du monde – sont plus vivants.

Des gens brillants, mais
qui ne font que ça

Fin juin au Centre William-Rappard, donc, se fêtait à la fois l’annuel Aid for Trade (wto.org) et le 60e du Centre du commerce international (agence semi-onusienne qui épaule les petites entreprises dans la jungle des affaires: intracen.org). Une table ronde («TradeTech: a passway to prosperity», animée par le World Economic Forum) y fut vouée à une plate-forme en ligne qui allait stimuler le commerce… et créer un monde d’abondance. Ça mériterait discussion, car le secteur de l’épicerie n’a pas attendu ses sauveurs: depuis que le téléachat existe, Migros comme Veillon – pour ne prendre que des exemples suisses – sont à la fois l’obstacle et la solution entre fournisseur et client: logiquement, on n’en aurait plus besoin… et pourtant!
Quant au légendaire annuaire Kompass – jadis bible de toutes les industries –, il n’a pas su devenir en ligne cette plate-forme obligée: pourquoi, comment… ce serait un sujet en soi qui comprendrait tous les autres. Voilà donc les rêveries auxquelles pourrait se laisser aller l’auditeur, mais – hélas! – pas de discussion à la fin de cette session d’Aid for Trade: après avoir parlé pendant une heure au rythme d’une mitraillette sur un ton triomphaliste, la demi-douzaine d’orateurs/trices – remarquables, c’est incontestable – a déclaré le sujet clos «faute de temps» et a prié le public présent – pourtant expert lui aussi – de méditer ces «take home lessons». C’est souvent comme ça; bref, chez les humanistes comme chez les commerçants se pratique le même type d’évangélisme. C’était sans doute le cas aussi au Sommet de la négociation humanitaire mentionné plus haut, mais… le journaliste – bien que dûment inscrit – s’est fait chasser à coups de bâton (avant même d’avoir pu accéder à la salle) quand on a su qu’il était «indépendant».

Les arrière-pensées sont restées au vestiaire

Passons sur les autres «événements» signalés au début: on reviendra en effet (dans un prochain numéro… si la démocratie tient bon jusqu’à l’automne) sur l’apologie de la désobéissance par les gardiens de la réglementation. Alors il est temps de jouir un instant de cet improbable Congrès de la parfumerie (worldperfumerycongress.com). Que pouvait tirer un quidam qui l’ait tant enchanté, à ce congrès pourtant très américain (car l’européen venait de se tenir à Grasse)? Tout d’abord, l’ambiance: tout à leur désir d’enchanter le monde, les centaines de personnes qui arpentaient la halle ou qui écoutaient en salle étaient à mille lieues des gestes et mots codés dénoncés plus haut dans les milieux savants ou moraux. A Palexpo, on pouvait sans autres prendre langue avec des fabricants, des designers, des distributeurs, des acheteurs… les uns sortis de l’Ouest sauvage, les autres, adeptes du tchador… on y a même vu côte-à-côte les frères ennemis Givaudan et Firmenich. Entre deux balades parmi les stands d’exposants avaient lieu aussi des exposés dans la grande salle.

L’odorat comme on ne l’a jamais vu

On a pu y entendre un tandem devenu célèbre en cherchant à parfumer non juste les corps, mais les maisons, les autos, les hôtels (pura.com). Et l’histoire des parfums telle que la raconta Michael Edwards – qui résuma au podium son dernier livre – vaut bien les histoires dont nous gratifie l’Université à son festival (histoire-cite.ch). Mais ce qui a le plus épaté le soussigné, ce fut cette jeune femme vue en train de prendre en photo des statues de bois sur un stand. Vues de plus près, lesdites statues avaient des… nez sortant de tous les côtés. La jeune femme était en fait l’artiste qui avait décoré le stand, celui d’une firme crée par son père et qui a pris une forme d’intérêt public (fundacionernestoventos.org). Jadis, la formule «il est au parfum» fit sensation lors d’un scandale dénoncé par le «Canard Enchaîné». C’était l’expression employée par des truands pour dire qu’Untel était «au courant». Certes, le parfum a souvent servi à masquer ce qui ne sentait pas bon. Mais à en juger par l’accueil sans façon fait au journaliste novice, il semble que ces gens-là n’avaient rien à cacher.

 

Boris Engelson