Le lieu de culte a été repensé par l’architecte parisien Jean-Marie Duthilleul.

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culture & nature - La troisième vie du Sacré-Cœur (Genève)

Le bâtiment a fêté sa réouverture après deux ans de travaux

12 Juin 2024 | Culture, histoire, philosophie

Après deux ans de travaux, le bâtiment du Sacré-Cœur a rouvert ses portes aux fidèles, mais aussi aux passants et aux affamés de nourritures terrestres et culturelles. Ce nouveau départ marque la troisième vie de cet imposant sanctuaire posé le long de la Plaine de Plainpalais. Temple maçonnique, puis église catholique, le voilà désormais cœur de l’administration de l’Eglise catholique à Genève, restaurant, centre culturel et pied-à-terre de l’évêque lors de ses séjours à Genève, en sus de rester un lieu de culte.

Rebâtir pour faire communauté, plutôt que rebâtir à l’identique en espérant que la vie s’installe spontanément dans les murs, voilà l’approche adoptée après l’incendie qui, le 19 juillet 2018, a détruit l’intérieur du Sacré-Cœur. «J’ai réuni un groupe de paroissiens et d’amis de la paroisse pour examiner de nombreuses options», explique Philippe Fleury, président du Conseil de paroisse, propriétaire de l’édifice. Au final, quatre objectifs guideront la restauration.
Le premier est de créer un lieu qui attire le public. «Nous voulons que le bâtiment draine des visiteurs, pratiquants ou non, pour le parcourir, y travailler, y passer un moment», commente Philippe Fleury. Second point: le Sacré-Coeur doit vivre sans temps mort, sept jours sur sept, toute l’année. Lieu de culte d’abord, le nouveau Sacré-Cœur devra encore être un lieu qui ait du sens pour la Cité. Enfin, il devra être rentable financièrement pour assurer son avenir à long terme.
La traduction architecturale de ce programme est confiée à l’architecte tessinois Christian Rivola, fondateur de l’atelier ribo+. A la question de savoir si ce chantier mêlant les contraintes d’un bâtiment classé, la présence d’un lieu de culte et l’exigence de multifonctionnalité l’a porté vers des territoires inconnus, Christian Rivola répond par une métaphore musicale. «Les différentes parties du projet sont des pistes sonores qu’il faut fondre dans une mélodie unique. J’avais interprété chacune de ces pistes par le passé, sur d’autres chantiers. Mais au Sacré-Cœur, l’intensité et la variété des éléments individuels ont créé une symphonie que je n’avais jamais jouée auparavant. Le résultat est une composition architecturale de grande valeur à visiter et à écouter!».

La lumière, lien avec le ciel

Les visiteurs, venus nombreux dès la réouverture, notamment pour découvrir la nouvelle conception du lieu de culte, repensé par l’architecte parisien Jean-Marie Duthilleul, ont loué la réussite architecturale. Le sanctuaire, entièrement redessiné, occupe le même espace qu’avant l’incendie. Il s’organise autour d’un axe central le long duquel sont disposés l’orgue (en cours de réalisation), le baptistère, le pupitre, l’autel, une croix monumentale suspendue au plafond et un olivier, symbole de paix. Les bancs sont installés face à face, de part et d’autre de cet axe.
Ce dessin renverse l’arrangement usuel qui voit le célébrant devant les fidèles, sur un plan surélevé. Ici, le prêtre officie au sein de la communauté. Le bâtiment est par ailleurs traversé par un puits de lumière qui descend du toit jusque dans la crypte, en passant par l’église, grâce à une ouverture vitrée sur le faîte qui en éclaire les quatre niveaux.
«L’idée du puits de lumière a été proposée par Jean-Marie Duthilleul pour incarner la relation avec le ciel dans l’espace de l’église, raconte Christian Rivola. Nous l’avons amené jusqu’à la terre en organisant la lumière à l’intérieur du volume et en réfléchissant au parcours qu’elle effectue pour pénétrer jusqu’aux individus dans l’espace sacré. La lumière réfléchit, active, donne, rend visible et offre de l’énergie, qu’elle soit naturelle ou artificielle».

Le 19 juillet 2018, un incendie détruit l’intérieur de l’église.
Des espaces lumineux qui devraient attirer les visiteurs.

Un restaurant avec terrasse

L’animation du bâtiment sera notamment assurée par le restaurant «L’Olivier du Sacré-Cœur», qui ouvrira ses portes en juillet. Il pourra accueillir 80 personnes et disposera d’une terrasse. Sa gestion a été confiée à Clément Garcia, qui exploite déjà le Cercle du Salève à Veyrier.
L’entresol et le premier étage sont occupés par une trentaine de collaborateurs de l’Eglise catholique romaine – Genève (ECR). Constituée en association, l’ECR, l’organe administratif des catholiques du canton, a quitté son immeuble historique de la rue des Granges pour regrouper une partie de son équipe dans un lieu plus grand et moderne. Il faut y voir le cœur et non pas le centre de l’Eglise genevoise, insistent ses responsables qui soulignent que l’Eglise continue à se déployer au travers de ses paroisses et des activités pastorales dans de nombreux lieux du canton.
Reste le sous-sol, autrement dit la crypte. Entièrement restaurée et réaménagée pour accueillir des groupes et des spectacles, elle sera confiée au Cercle du Sacré-Cœur, une nouvelle association dont le Comité se compose de trois personnes associées à la réflexion et à la rénovation du bâtiment: Philippe Fleury, Xavier Jeanneret, directeur général d’Urban Project SA, et Giuseppe Urro, directeur de MicroGestion SA.

La chambre de l’évêque

Pour Philippe Fleury, le fait que Plainpalais connaisse déjà une grande densité de lieux publics et culturels n’est pas nécessairement un obstacle. «Le Sacré-Cœur offrira des espaces que l’on ne trouve pas à proximité: une salle des fêtes d’une capacité de 150 personnes, disponible à la location, et une seconde salle d’une capacité de 300 personnes debout ou la moitié assise. Par ailleurs, le lieu est beau et original, ce qui devrait attirer».
Le coût total des travaux, déconstruction, reconstruction et aménagement, atteint 25,5 millions de francs. Ce montant a été réuni à travers les indemnités versées par les assurances après l’incendie (environ huit millions de francs), les dons (neuf millions), un emprunt bancaire de sept millions et 1,5 million de subventions publiques au titre de la protection du patrimoine, car le bâtiment a été classé en 2007 par arrêté du Conseil d’Etat.
A cet égard, et malgré la souplesse dont les autorités font preuve verbalement quant à la pose de panneaux solaires sur les bâtiments historiques, il n’a pas été possible d’en installer au Sacré-Cœur. Enfin, l’édifice intègre une chambre pour loger l’évêque lors de ses déplacements à Genève. Le prélat disposait déjà de cette commodité à la rue des Granges.

 

Cesare Accardi

GROS PLAN

160 ans d’histoire

 

Le Sacré-Cœur a été construit entre 1858 et 1860 comme temple maçonnique. Très vite, les maçons sont contraints de le vendre, faute d’argent. Le bâtiment est alors occupé successivement par un café, la section genevoise de l’Internationale ouvrière puis, brièvement, la Société des amis de l’instruction qui est à l’origine des Salons voisins.
En 1873, en période de Kulturkampf, un intermédiaire acquiert le bâtiment pour le compte de l’Eglise catholique romaine. Il accueille les fidèles contraints de quitter l’église Saint-Germain, en Vieille Ville, et la paroisse catholique romaine de Saint-Germain devient la paroisse du Sacré-Cœur.
Le bâtiment est transformé en 1939. Des colonnes sont supprimées, ouvrant l’espace intérieur. Il est prolongé d’une quinzaine de mètres en direction du Conservatoire de musique, pour intégrer une cure.
Dès 1958, la Communauté catholique de langue espagnole partage l’usage des locaux avec la Communauté paroissiale du Sacré-Cœur. Des salles de fête et de réunion sont créées en 1982. Les façades sont rénovées en 2010. Huit ans plus tard, le 19 juillet 2018, un incendie détruit l’intérieur de l’église.