Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Je n’ai pas le temps
Il suffit que nous fassions
quelque chose de
relativement anodin pour que
cette action soit inscrite à
jamais dans le temps.
Est-ce vrai? En fait, la seule chose que nous ayons est justement le temps. Non seulement nous l’avons comme une eau qui coule entre nos doigts, mais nous sommes englués dans le temps et nous passons avec lui. J’ai mis un peu de temps pour écrire ces trois lignes et voici qu’elles sont là, devant moi, inscrites sur l’écran blanc de mon traitement de texte. Même si je les corrige, même si je les efface et n’en veux plus, ces lignes maintenant disparues de la page ont existé. Elles ont existé de manière éphémère certes, mais elles ont existé néanmoins. En fait, il se trouve un univers de différence entre ce qui a existé un millénaire, une centaine d’années, une décennie, un mois ou quelques brèves secondes d’une part, et ce qui n’a pas existé du tout, d’autre part. Ce n’est pas une différence de degré, mais une différence de nature qui sépare l’existence de la non-existence.
Ce que nous faisons dans notre vie trouve des échos dans l’éternité. Que représente notre minuscule aventure humaine face à l’immensité du temps? Trois fois rien. Et pourtant il suffit que nous fassions quelque chose de relativement anodin pour que cette action soit inscrite à jamais dans le temps. Rien ne pourra faire qu’elle n’ait pas existé. Nous ne pourrons jamais la supprimer, car ce qui a été fait l’a été définitivement. Voilà que durant quelques instants de vie j’aime cette femme et qu’elle m’aime en retour; cette amourette aura peut-être duré l’espace d’un matin, mais le fait de s’être aimé, ce fait-là est plus solide que tout.
Certes, nous pouvons faire signifier différemment le passé en y ajoutant une nouvelle action, mais le passé est là. Pour toujours. Il vous est sans doute arrivé qu’un mot malheureux vous ait échappé et que ce mot ait blessé. Vous en avez eu honte; mais comme les écrits, les paroles demeurent, et vous le regrettez encore des décennies plus tard. Vous ne pouvez plus l’effacer, or il vous reste à modifier le sens de cette souillure par de nouvelles paroles. Le présent peut parfois faire signifier autrement le passé.