carrière & formation
La paix est-elle en retard d’une guerre?
Ceci est un «Spécial Formation»; mais comment forme-t-on sa «conscience» qui – nous dit Rabelais – donne son sens à la «science»… surtout dans un monde entre guerre et paix?
Le 5 avril est la «Journée internationale de la conscience»: ainsi en a décidé il y a cinq ans l’Organisation des Nations Unies. Qui, déjà deux ans plus tôt, avait fait du 15 mai la «Journée internationale du vivre-ensemble en paix». A première vue, ça ne fait pas double emploi; mais la «conscience» dont on doit parler le 5 avril est bel et bien celle de la «fraternité» humaine pour faire barrage – «dans l’amour» – au «fléau de la guerre» mis à l’index du 15 mai. Alors cette frénésie pacifiste est-elle le signe que les chevaliers de la paix vont enfin couper la tête du dragon; ou à l’inverse, donner encore des coups d’épée dans l’eau? Si – ces temps – les guerres reprennent de plus belle malgré l’inflation d’appels à la paix, c’est peut-être que les mots s’usent à force d’abus.
La synthèse cache l’antithèse
Un ermite n’aime guère «vivre ensemble», mais est tout voué à sa «conscience»; auprès des pirates – définis par des historiens comme de «coopératives anarchistes de tueurs» – c’est l’inverse. Le drame au Proche-Orient montre aussi qu’on peut être communiste dans une coopérative agricole mais tout de même nationaliste face aux populations d’une autre extraction. Est-ce en empilant les «Journées» et «Déclarations» qu’on fera face aux problèmes du XXIe siècle? Les Nations Unies viennent d’ajouter aux deux autres une «Journée internationale contre l’islamophobie», après avoir lancé jadis – avec Kofi Annan, R. T. Erdogan et J. L. R. Zapatero – une «Alliance des Civilisations» pour contrer le «terrorisme». Mais qui est islamophobe: Salman Rushdie qui relit le Coran ou Hadi Matar qui tente de tuer Rushdie? En donnant un «su-sucre» à tous ceux qui en réclament, les «Journées» donnent surtout raison à ce Yeshayahou Leibovitz qui jugeait nocives les cérémonies sur l’Holocauste (objet d’une Journée le 27 janvier; et un 15 avril – qui ne lésine pas sur les chiffres des tués – est dédié aux Tutsis). En fin de compte, les bonnes consciences pour tous nourrissent la bonne conscience de chacun.
Sans dictateurs, où est le mal?
La rhétorique des Nations Unies est une réponse aux deux atroces guerres qui ont détruit le Monde au siècle passé. Mais que l’humanité n’ait pas tiré la leçon – une fois pour toutes et après tant d’efforts – étonne. Jadis, on pouvait dire «attendons la fin de la colonisation» en Afrique et au Levant… et du «néo-colonialisme» au Vietnam. Puis patience encore face aux fruits pas mûrs: les «révolutions» à la Khmer Rouge; ou alors, «il va tomber le fruit blet» à la Pinochet. Mais de nos jours, hormis chez Kim Jong-un et tel de ses voisins, le vote est libre du Chili à la Russie et de la Turquie à l’Afrique du Sud ou encore de l’Albanie au Nigeria et du Pakistan à la Roumanie. Alors on ne parle plus de mettre bas les Césars, mais le Veau d’Or de la Bourse: «Eduquons les peuples à voir en leur prochain un camarade dans le partage citoyen». Mais même sans argent, le «kibboutz» et la «umma» n’ont pas le même cercle d’amis. La région du monde où on est le moins ouvert aux autres est celle où on voue le plus grand culte au «plus jamais ça» et au «droit à l’altérité»: le Proche-Orient! Et si… les Nations Unies et l’Unesco (qui a – avec «l’Alliance» déjà nommée – concocté pendant des années le 5 avril «de la conscience») étaient parties sur une fausse base? La guerre est-elle bien la fille aînée de l’«inconscience»; et les «directeurs de conscience» de la «communauté internationale» peuvent-ils donner la leçon avec une langue de bois?
La guerre des consciences
Cherchons alors un élément de réponse chez un bouquiniste au Salon du livre: «Les repus disaient: c’est étrange qu’on se mange! La paix est un grand bienfait. Mais les gens à jeun, criant ruine et famine, voulaient du pain pour chacun. Faut repartager les conquêtes qu’on a faites et l’on pourra s’arranger». Ce sont trois ironiques couplets sur un «Congrès de la Paix» (tenu à La Haye en 1899), trouvés dans un recueil de «Chansons du Pays de Vaud» (Payot 1913). A noter que ladite chanson plaidait moins pour une justice sociale garante de paix que contre l’esprit de parti qui cause des conflits par ses idéaux-mêmes. On peut aussi trouver des bouts de réponse dans l’actualité locale: ceux ou celles qui – à la Ville, enfer pavé de bonnes intentions – font du «copinage» ne le font pas par appât du gain: prêts ou prêtes à couler leur carrière pour la bonne cause, ils ou elles sont sûr(e)s que leurs «camarades» incarnent le mieux le «service public». Mais la clef de l’énigme, c’est sans doute la Guerre de Troie qui la détient: Hélène comme Juliette ont fait couler pas mal de sang, et les mythes ont leur vécu. Mais même en parlant d’amour du prochain et non du conjoint, même à Genève dès qu’on sort dans la rue, on voit d’emblée qu’on ne peut être gentil avec tout le monde. Et sous d’autres cieux, le sourire de Bouddah n’a pas non plus fait sourire tout le monde au Myanmar, au Sri-Lanka (ni au Japon des Années Trente). Paradoxe: au Palais des Nations, ceux qui œuvrent le mieux pour la paix, sans doute, sont ceux qui savent voir la guerre en face (à l’Unidir ou à la Convention sur les armes bio et chimiques, petites structures dans l’ombre et donc dispensées de grandes déclarations).