Choisir le bon contrat social, c’est une loterie.

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Débat sur le sexe des contrats et entretiens sur la pluralité du social

5 Juil 2023 | Articles de Une

«Un nouveau contrat social»: depuis que l’Etat providence a mal aux pieds, pas un jour sans qu’on propose de mettre le pacte civique à jour. Les œcuménistes les plus zélés sont-ils ceux qui veulent le signer, ou nous le faire signer? La prochaine guerre civile risque bien – comme d’autres avant elle – d’être celle entre les projets adverses de pacte social parfait.

Le «vivre-ensemble», le «faire-société», la «solidarité dans la cité»… jadis l’Etat les incarnait; plutôt désincarné de nos jours, il doit en rajouter avec un ministère dédié à la «cohésion sociale». Signe qu’on n’y arrivera jamais, ou du moins, que «plus y’en a, moins ça colle»? De quoi ricaner du «nec plus… supra» étatique de la paix et des droits (un.org/fr/common-agenda/summit-of-the-future): le «Pacte pour l’avenir» qui doit sortir d’un «Sommet» l’an prochain basé sur un «Programme commun» voit pour l’instant toutes les Nations Unies – au contraire – fourbir leurs armes.
Les «Objectifs du développement durable» – accord de base censé fixer le cap du progrès – portent en germe un conflit grave: «A qui sera la faute si on coule en route… ou si on se trompe de port?». Mais revenons sur notre terroir, avec trois appels à chaque Genevois (de maison ou de raison) à mettre son grain de sel: le «Prix Cohésion et Solidarité Lémanique» par la concorde à travers les frontières (conseilduleman.org), un «Contrat social pour le XXIe siècle» pour «pousser à l’engagement» sur les traces de Rousseau (délai échu mais appel mondial: voir m-r-l.ch), et «Faire société ensemble» sur les traces de Christina Kitsos (geneve.ch/pratiques-inclusives)…

Le sel peut cacher le moisi

Faut-il avoir lu «Du contract social» de Jean-Jacques Rousseau de A à Z pour deviner les grandeurs et faiblesses d’un éventuel «Nouveau contrat social»? Dans cette page, on a pour règle de partir de questions d’enfant: «Que serait un contrat… asocial?», en droit moderne; ou à l’inverse, du «social» sans «contrat», ça donne quoi? Bref, et même sans chercher la petite bête, on peut demander en quoi l’«ancien» contrat est hors jeu et s’il suffit d’en rêver un «nouveau» pour qu’il marche mieux.
Face au bouquet des trois «appels», autant rester bon public, mais on risque de manger du réchauffé plus que de la nouvelle cuisine: quoi de plus usé que le copinage associatif ou que la rhétorique engagée? Comment taire la question au moment où la Cour des comptes épingle une association censée soigner la «socialisation défaillante»? Bref, depuis le tournant du siècle et faute d’autre choix, chaque fois qu’on cherche des «solutions», on est entre l’évidence qui ne dit rien de neuf et l’impasse où on s’engage quand même.

Ma cause est un «bien commun»

Le «Nouveau contrat social» n’a-t-il de nouveau que le changement de nom de l’impasse? Ce singulier contrat devrait d’ailleurs être mis au pluriel, car chaque ère et chaque terre a eu le sien: les ouvriers du Pharaon étaient payés, César misait sur la plèbe, l’Académie de Dijon primait Rousseau: on voit bien que le «social» n’a pas attendu notre Genève «sociale et solidaire» et ses deux Départements «de la cohésion sociale», ni ses trois «Appels». Alors pourquoi en est-on là, criant chaque jour «C’est pas juste» à l’issue de deux siècles de «progrès»? Malgré le vote du peuple, malgré l’école pour tous, malgré la levée d’impôts… pis, malgré les légions d’«engagé(e)s» depuis trente siècles et surtout depuis cent ans: prophètes allumés, penseurs isolés, syndicats unis, zadistes dispersé(e)s et surtout employés de la fonction publique: tous/toutes apôtres du règne de «l’esprit sur le glaive» ou du «cœur sur l’argent», bref, d’un monde «autre» et donc «meilleur» qui ne laisse personne «de côté».
Et chacun reste convaincu que le «social» est sa marque déposée: les sociétés «justes» meurent-elles d’un excès de «justiciers» prêts à se sacrifier pour pousser à «la roue de l’Histoire»? Ironie: l’Histoire a souvent marché à reculons, du «communisme primitif» à la république élitaire, puis à l’empire conquérant… et fit demi-tour juste au Siècle des Lumières. A quel moment
a-t-elle fait à nouveau demi-tour? Le titre de ce texte est un clin d’œil aux auteurs qui ont vécu de telles transitions.

Elections, piège à cons

L’Est socialiste et l’Occident libéral allaient fusionner… et le Sud les égaler: dans l’Après-Guerre des Années cinquante, on a cru qu’enfin l’Avenir radieux allait devenir Présent: si Winston Churchill a perdu les élections en 1945 malgré ses exploits, c’était pour ça. Mais là déjà, quel malentendu: pour le «peuple», le «social» était dans le ventre plus que dans la tête; foin de héros, on veut «des sous».
Est-ce ce soudain vide d’idéal que la jeunesse a voulu combler dans les années soixante par une version plus mystique du «social»? Voire plus poétique qu’électorale, comme le dit le slogan d’alors cité en sous-titre plus haut. Qui fait peu de cas de l’avis du brave con: «Je veux tout… fais-en autant», telle fut l’âme de 68… mais ceux nés trop tard ne purent en faire autant.
Pas question pourtant de «toucher à nos acquis» pour aider les plus petits… alors on rêve d’un «nouveau contrat fiscal» sans douleur sauf pour les «happy few»: les slogans des derniers scrutins le disaient sans complexe. Mais ne voit-on le danger du «happy all» aux frais de Crésus, dans un «sans-souci» face aux forces avides? «Notre génération a-t-elle jamais eu l’occasion de faire montre de courage?» demandait un récent débat à la radio. Peut-on signer un «contrat social» sans ce test de vérité: avec le retour de la guerre en Europe, on pourrait voir – mais on ne veut pas voir – que le «mourir-ensemble» est le prix du «vivre-ensemble». En tout cas ces temps, de l’Otan au Kremlin, chacun voit bien que la concorde ne rime plus avec le confort.

Rêver tout haut aux frais des petits

Autant terminer par un bilan imagé: dans le passé, quels furent les «rêves» de société solidaire? Le plus récent est celui de la «société du savoir», qui a fait du rêveur une fin en soi, le savant posant pour la statue devant l’artiste, sous les vivats d’un public «solidaire», mais aux besoins sans limite. Las! On ne peut vivre qu’un temps aux frais de l’avenir, même dans un «contrat» à trois… et le climat fixe soudain les limites.
C’est donc la «solidarité» avec l’avenir qui devient le nouveau ciment: tous unis – de l’Amazonie à la Laponie – contre les mines, l’avion, les banques. Mais quand ces trois gredins auront rendu l’âme, quel sera alors l’ultime «ciment» social? Le citoyen «engagé» sent bien le hic, aussi est-il peu à peu pris d’une nostalgie «solidaire»… qui pourrait expliquer l’extase «collective» l’autre jour à l’Université ouvrière (pleine à craquer pour écouter un Jacques Baud; voir investigaction.net). Si l’Avenir radieux ne tient plus debout, si l’Objectif Lune est déjà atteint… si seule l’Amérique se paie le «happy end»… le retour aux «Contes de l’Isba» nous rend une «communauté» familiale. Ceux qui veulent penser l’avenir devront donc, à première vue, se passer de solidarité.

 

Boris Engelson

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