Oublié, le livre d’Oscar Wilde; mais sous «enfants en prison» avec ou sans «Gülen», ce n’est pas l’info qui manque.

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Débat sur le sexe des diables

24 Mai 2023 | Carrière et formation

Ce numéro est un «Spécial Formation»: le sort des enfants en prison – à la scolarité entravée – entre-t-il dans une telle rubrique? Les sortir d’un tel enfer est plus urgent que débattre du sexe des anges qui ont alerté la presse.

«Même Amnesty est dure à remuer dans cette histoire: pour une partie de l’opinion en Turquie et au-delà, la communauté Gülen n’a que ce qu’elle mérite; mais que «méritent» des enfants en bas âge mis en prison avec leur mère, que leur pays rejette au berceau, et qui n’ont même pas droit aux soins de base?». Ce tableau – brossé pour la presse par une association proche de ladite communauté (iahrageneva.org) – met en lumière ces drames oubliés, faute de gloire à y gagner, et qui dérangent nos intérêts (ou juste nos habitudes).

Aylan Kurdi n’est pas le seul drame de l’enfance

Gülen est un mouvement religieux qui fut proche du président Recep Tayyip Erdogan: à un moment, ils se sont gênés l’un l’autre, d’où la tentative de coup d’Etat dont Erdogan a accusé Gülen. Vrai ou faux, le chef de l’Etat a pu ainsi neutraliser le dernier obstacle à sa mainmise sur les trois ou quatre pouvoirs. Des lois «antiterroristes» ont alors permis de brimer des masses de gens: employés démis par milliers, familles privées de passeport… Ces jours et pour la première fois en une décennie, la Turquie passe son examen sur «les droits de l’enfant» au Palais des Nations; et l’élection présidentielle donne une actualité accrue à ce dossier. Certes, on rend Erdogan et son parti «Adalet ve Kalkinma» (Justice et Développement) coupable de tout et de son contraire: les Kémalistes ont commis autant de fautes que Gülen ou Erdogan. Mais la Turquie est un Etat où l’équilibre des pouvoirs n’a existé que pendant une courte période de transition entre le kémalisme et l’akapisme. Et avec les migrants et les guerres, elle tient l’Europe à sa merci… surtout en ces temps où le Sud et l’Est veulent «un nouvel ordre mondial».

Bombes à retardement

Tout cela cache une autre question: pourquoi certains drames humains saturent-ils les médias et d’autres en sont boudés? Jadis, du temps des tyrans, on pouvait défendre les faible en alertant la gentille masse face aux méchantes cliques. Mais les despotes actuels – quand ils s’en prennent à tel segment de la société – ont souvent une large base populaire. Les Bahaïs en Iran, les peuples d’Amazonie, les Rohingya au Myanmar, les Papous en Irian… ont peu de protecteurs. Ou alors, la situation est si confuse que la plupart des médias baissent les bras, faute de trouver le gentil et le méchant: on a parlé ici il y a peu d’un drame muet au Cachemire, où des musulmanes sont victimes de djihadistes sur sol indien. Tout aussi déroutants sont les conflits en Lybie, au Yémen, en Ethiopie… ou le statut des Sikhs ou des Dalits en Inde. Alors on se rabat sur des causes plus simples… à première vue: l’apartheid en Israël (comme le dénonce le sommet des droits humains «de droite»: unwatch.org). Aubaine en Ukraine, le retour du «méchant» contre le «gentil»… ce qui là aussi fait tomber d’autres victimes dans l’oubli: une partie des habitants de Lettonie – ex-soviétique – n’a toujours pas reçu la nationalité, suspecte d’être pro-russe (un scénario vécu jadis par les Biharis au Bangladesh).

Les enfants vivent-ils tous leur «soul»?

Mais revenons au drame de l’enfance, en Turquie et ailleurs, qu’ignorent parfois même l’Unicef ou le Comité des droits de l’enfant. Au Vietnam, après que le régime de Hanoï a planté le drapeau rouge sur le Palais présidentiel à Saigon, des milliers d’enfants ont été mis à la rue pour crime d’avoir un père américain: on en a parlé – un demi-siècle plus tard – dans un récent film passé sur Arte. On dit que cent ou deux cents millions d’enfants vivent à la rue dans le monde: pas toujours contre leur gré, tiraillés entre le rêve de réussite et celui de liberté. Hasard, c’est le même soir qu’on a pu voir deux films sur les deux «rêves» extrêmes d’«artistes» en herbe, chacun à sa manière: «I am Chance» (surnom d’une fille de Kinshasa; wajnbrosse.com) passé à la Maison de la Paix et «Soul» (rêve musical de Pixar; agenda.unige.ch/events/view/36637).

Un cas d’école… de comm’

Retour aux gosses de Gülem: la quête d’un avis objectif est – pour un journaliste – un exercice ardu: faut-il prendre les faits et chiffres fournis plus haut pour argent comptant? L’association qui les véhicule semble crédible, mais on ne doit jamais s’en tenir à un angle de vue: deux jours plus tard, au forum de «UN Watch» (genevasummit.org), les experts de Turquie ne cachaient pas leur méfiance envers Gülen qui a aussi mis la Justice sous sa coupe quand elle régnait avec Erdogan. Wikipedia brosse un portrait encore plus contrasté de ce mouvement polymorphe, tandis que des experts de l’enfance rencontrés à la Maison de la Paix le même jour créditent Gülen de grands mérites éducatifs (gulenmovement.com/why-do-parents-choose-a-gulen-school-for-their-children-a-case-study-in-belgium.html).
En tout état de cause, ce n’est pas à des êtres en bas âge de payer pour les conflits des hautes sphères; et une chose est sûre: mieux vaut être coupable devant une cour suisse qu’innocent dans une prison turque. Autant observer la Turquie sans parti pris mais avec vigilance: sur un tel dossier, les milieux d’enseignants et associations de parents ne pourraient-ils se mettre à l’œuvre?

 

Boris Engelson