Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
A quel jeu jouez-vous?
Le jeu de société, qui impose une égalité entre les joueurs, une même règle pour tous, aurait-il pesé sur le principe démocratique?
Toutes les civilisations du monde se sont livrées au jeu, sur tous les continents. Il apparaît que les jeux – et non seulement les jeux d’enfants – sont chevillés au destin des hommes adultes lorsqu’ils décident de se mettre ensemble. On a découvert sur divers sites archéologiques, bordant la mer Egée et datant de quatre millénaires, des quantités de petites pierres rondes comme nos billes. Les spécialistes affirment qu’il s’agit, non pas d’un jeu d’adresse, mais d’un jeu de société, l’un des plus anciens du monde, se déroulant sur un plateau, un peu comme le senet de l’Egypte antique. Un jeu de société signifie donc que l’intelligence des joueurs intervient dans le cours de la partie et influe sur elle, même avec le concours de dés; alors qu’un jeu de pur hasard confie la réussite à la chance uniquement, à la bonne fortune, comme c’est le cas des machines à sous des casinos de Las Vegas.
Il faut donc admettre qu’une des propriétés du jeu est civilisationnelle. C’en est un facteur en tout cas, puisque le propre du jeu de société est de constituer un monde à part, un milieu autonome, qui a ses propres règles et que chacun respecte volontairement. Volontairement! On déteste les tricheurs, ceux qui enfreignent ces règles. Si le pouvoir et la loi sont imposés de l’extérieur, le hors-la-loi peut susciter dans certains cas de la sympathie; on pense à Robin des Bois ou à Arsène Lupin. Le tricheur, lui, le hors-la-règle, n’est jamais sympathique. Il suscite des réactions violentes, on le méprise. La honte s’abat sur lui justement parce qu’il n’honore pas ce qu’il avait décidé librement de respecter.
Le jeu semble posséder des propriétés qui ne se réduisent pas au passe-temps, ni au divertissement social. On peut même se demander si le jeu de société, qui impose une égalité entre les joueurs, une acceptation des participants, une même règle pour tous, n’a pas pesé sur un principe politique qui nous est cher: le principe démocratique. Après tout, la mer Egée n’est pas si éloignée d’Athènes!