Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Ah, les livres audios!
Lire, c’est écouter la voix de l’écrivain en lui permettant de s’épanouir en nous.
La presse écrite a déjà fortement pâti des attaques des géants du numérique. Voici que Spotify et Amazon ont annoncé des initiatives musclées dans le domaine lucratif du livre audio. Soyons clair, pour les malvoyants qui ne maîtrisent pas le braille, ces livres sont une bouffée d’air et plusieurs associations n’ont pas attendu les GAFAM pour transformer des quantités de titres en bandes sonores. On y accède facilement.
Seulement, il ne s’agit pas de cela, mais d’une industrie numérique planétaire. Toute lecture demande un effort, modeste mais réel, que bien des gens n’entendent plus fournir pour lire, cédant ainsi à la prétendue facilité d’écouter au lieu de lire. Cependant toute lecture est une rencontre, pas tellement avec des idées qu’avec un écrivain. Lire, c’est écouter la voix de l’écrivain en lui permettant de s’épanouir en nous. Il existe certes de magnifiques acteurs qui, à voix haute, demeurent fidèles à cette voix basse et magnifient le texte, mais lire c’est d’abord permettre à cette voix de s’accorder avec notre propre rythme. Chacun a sa manière d’en user: on lit rapidement, lentement, on peut relire une phrase, un passage, on déguste, on aime à s’arrêter un instant, à lever les yeux, à réfléchir entre deux images. Le Livre audio, lui, impose son rythme en continu. Le vrai lecteur ne veut pas réduire son plaisir à une information, il entend nouer une relation secrète et personnelle avec les auteurs, mais aussi avec les objets: l’ouvrage, les pages, le papier, le signet… Les liseuses numériques nous ont déjà privés de ces multiples objets; le livre audio, désincarné, nous en éloigne plus encore.
Ce nouveau format nous conduit un peu plus vers un monde «hors sol», qui manque d’épaisseur, aplanit tout effort et transforme la culture essentielle en libre-service. Ce qui caractérise la modernité est la volonté de se libérer des contraintes pesantes, de s’affranchir des batailles qui structurent aussi les individus. On peut sans doute s’en réjouir, mais la question demeure: cette libération est-elle une liberté?