Francis Huster.

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L’hommage de Francis Huster

Molière, contemporain depuis 400 ans

27 Avr 2022 | Culture, histoire, philosophie

L’année 2022 marque le 400e anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. Cet immense auteur, qui a donné son nom à la langue française, continue de nous toucher, de nous faire rire, de nous éclairer, comme si ses pièces avaient été écrites hier. Parmi les nombreuses publications parues ou à paraître en cette année jubilaire se détache le Dictionnaire amoureux de Molière, réalisé par le comédien Francis Huster. Frappons les trois coups, l’éternel Molière entre en scène!

Par quelle magie la force comique des pièces de Molière reste-t-elle intacte? Et pourquoi ses héros, réduits à quelques traits ou traversés d’aspirations contradictoires, animés par des lubies, aveugles à eux-mêmes, parviennent-ils à nous révéler des dimensions insoupçonnées de la condition humaine? En 650 pages et plusieurs dizaines d’entrées magistralement rédigées, dans une langue précise et passionnée, Francis Huster, avec panache, répond à ces interrogations dans son «Dictionnaire amoureux de Molière» (Editions Plon). Il n’est pas inintéressant que ce dictionnaire, qui s’inscrit dans la fabuleuse collection des Dictionnaires amoureux fondée par Jean-Claude Simoën, soit de la plume d’un auteur, metteur en scène, réalisateur et acteur phare du théâtre, du cinéma et de la télévision.
Francis Huster, au stylo acéré et parfois trempé dans du vitriol à peine tempéré (ainsi, une entrée du Dictionnaire est consacrée aux excréments!), a joué Molière dans le monde entier. Il met au service de Poquelin sa connaissance presque intime de nombreux personnages de ses pièces. Et apporte une réponse: Molière est le seul auteur dont le génie découle entièrement de celui qu’il avait comme acteur. Chez lui, en effet, ce sont les émotions qui trahissent et jugent ce que les actes, les pensées et les paroles des personnages travestissent.

Des mystères révélés, des erreurs combattues

Francis Huster, 463e sociétaire de la Comédie-Française, précise: «Molière écrit ses pièces de manière que les spectateurs aient un ou plusieurs coups d’avance sur les personnages qui dialoguent devant eux. Ce faisant, en tant qu’auteur, il compose avec une formidable imagination les rapports avec la salle, comme une des dimensions originales de l’œuvre. C’est une préoccupation qu’il a certainement apprise des Italiens de la commedia dell’arte, mais à laquelle il a donné une puissance et une variété inédites».
La vie de Molière est encore pleine de mystère. Huster s’emploie, avec fougue, vibrionnant tel Cyrano, à les dissiper et à faire taire toute critique et à combattre toute erreur colportée par les nombreux biographes de Molière, dont la vie fut racontée quelques années après sa mort en 1673. Ainsi, il tord le cou à la rumeur selon laquelle c’est Corneille qui aurait écrit les célébrissimes pièces de Molière-Poquelin. S’est-il appelé Molière en raison d’une pierre, portant ce nom, située au bas de ce qui allait devenir l’avenue des Champs-Élysées? Huster rend aussi hommage aux travaux de Georges Forestier, auteur d’une biographie de référence parue en 2018 et préfacier de la nouvelle édition des Œuvres complètes de Molière dans la Bibliothèque de la Pléiade.

Par quelle magie la force comique des pièces de Molière reste-t-elle intacte?

Le Mont Blanc du théâtre
français?

«Devant les œuvres de Molière, l’artiste se sent comme un marcheur devant le Mont Blanc: le sommet est inaccessible», a pu écrire, à tort selon Huster, le grand metteur en scène russe du XXe siècle Constantin Stanislavski. C’est le contraire! C’est ce qui fait la gloire de Molière, éminemment accessible: chez Molière, le sommet n’existe pas. «L’acteur trouve Molière en lui. Il ne s’agit pas d’une révélation qui lui serait extérieure. Au contraire, il s’agit d’une exploration!, s’exclame Francis Huster, qui écrit encore: on peut voir là l’une des raisons pour lesquelles le théâtre de Molière ne mourra jamais. Il possède une extraordinaire puissance, créée par ces conflits au sein même des personnages principaux».
Oui, Molière ne mourra jamais: chaque fois, ses personnages seront réinventés indéfiniment par les acteurs et étonneront toujours le public. Peut-on parler d’immortalité? Je le crois.

 

Laurent Passer