Hervé Valette (à droite) et Jerôme Rudin, dans l’atelier de Léonard Valette, en 2022.

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Fondation valaisanne, artiste vaudois

L’artiste et le mécène

23 Nov 2022 | Culture, histoire, philosophie

C’est un couple qui remonte à la nuit des temps et que l’on retrouve dans toutes les civilisations: l’artiste qui crée et le mécène qui le soutient. Entre le peintre vaudois Jérôme Rudin et l’homme d’affaires et collectionneur valaisan Hervé Valette, c’est une histoire partagée de passion pour l’art et d’amitié. Rencontre croisée.

L’un est artiste, l’autre homme d’affaires, promoteur et collectionneur. L’un baigne dans l’art depuis toujours, depuis qu’il avait décidé d’être peintre et qu’il avait réussi à organiser sa première exposition à Lausanne, il y a trente ans, alors qu’il n’avait que 18 ans. L’autre a d’abord été journaliste pendant une quinzaine d’années, avant de bifurquer vers les affaires et de faire fortune tout en cultivant sa passion dévorante pour l’art. Entre Jérôme Rudin, 48 ans, et Hervé Valette, 65 ans, c’est une histoire qui tient à la fois de l’amitié et du dialogue entre amoureux de l’art. Deux itinéraires, deux parcours, mais une même sensibilité et une même quête de la beauté, comme ils nous l’expliquent lors d’une rencontre chez Hervé Valette, une grande maison entourée d’un vaste jardin à Savièse, au-dessus de Sion. C’est un véritable musée, en fait, où les œuvres d’art occupent tout l’espace, les tableaux contemporains voisinant avec des pièces africaines et asiatiques. Parmi ces trésors, une cinquantaine d’œuvres de Jérôme Rudin: des tableaux, des sculptures.
Créateur de la Fondation Valette, à Ardon, en souvenir de son frère Léonard, qui écrivait et peignait secrètement avant de mettre fin à ses jours à 39 ans, Hervé Valette accueille dans sa fondation une exposition Jérôme Rudin jusqu’à la fin de l’année. Il organise aussi une soirée privée, le jeudi 1er décembre, au restaurant du Prieuré, à Pully, pour présenter un certain nombre de toiles sélectionnées par l’artiste.

Collectionneur depuis toujours

Collectionneur, Hervé Valette l’est depuis toujours. «Je me rappelle un premier voyage en Turquie, à 15 ans, où j’ai acheté un magnifique objet, un cireur de chaussures, explique-t-il. J’ai toujours continué d’acheter des objets, des sculptures, des toiles, dans tous les pays où je suis allé. Aujourd’hui j’ai 4000 tableaux et je collectionne aussi les voitures anciennes. Je vais d’ailleurs créer un grand musée à Ardon, dans mon village natal, qui s’appellera Art Club-Carbox. Il y aura un étage pour les œuvres d’art et un autre où j’exposerai une centaine de voitures de collection. Dix-sept de ces voitures sont à moi et les autres seront prêtées par des collectionneurs. L’inauguration aura lieu le 4 mai 2023».
C’est chez un ami commun, à Montreux, lors d’un dîner, que Jérôme Rudin et Hervé Valette se rencontrent pour la première fois il y a une vingtaine d’années. Une curiosité réciproque, des discussions sur l’art mais une certaine réserve de part et autre… Jérôme Rudin est alors ce jeune artiste virevoltant qui accumule les succès un peu partout – Paris, Rome, Miami, Singapour… – et qui alimente les pages des magazines mondains; Hervé Valette, quant à lui, a abandonné le journalisme (il a notamment travaillé à «La Suisse») pour se lancer dans les affaires: «Je me rappelle le jour où j’ai décidé de faire du business, explique-t-il. J’étais sur le yacht d’Adnan Khashoggi pour une interview. Il était alors l’homme le plus riche du monde, son yacht était le plus grand au monde. Après trois jours à l’attendre, en mer, il est arrivé en hélicoptère et j’ai vu ce petit homme qui s’avançait vers moi. Je me suis dit que je voulais faire comme lui!». Khashoggi était d’ailleurs l’un des acquéreurs de toiles de Rudin.
Homme d’affaires à succès, Hervé Valette en profite pour s’investir davantage dans l’art – «ma respiration» – en multipliant les acquisitions et les contacts. «Dès notre première rencontre, j’ai été frappé par la gentillesse d’Hervé, se souvient Jérôme Rudin, par sa passion de collectionneur et par l’étendue de ses connaissances. Il s’intéresse à des artistes très différents, il visite sans cesse les galeries, en Suisse comme à l’étranger; il connaît parfaitement la peinture et les artistes contemporains». «Je connaissais la peinture de Jérôme, ajoute Hervé Valette, mais au début j’étais un peu réservé. J’avais l’impression que c’était une peinture destinée à plaire, savamment orchestrée pour être commerciale. Je trouvais un peu bling-bling».

«Jérôme est dans une dynamique puissante, il y a beaucoup de force et une belle énergie dans ses œuvres», dit Hervé Valette.

«Il me rappelle mon frère»

Les deux hommes vont se revoir régulièrement pour parler de leurs explorations, de leurs découvertes. «La première fois que j’ai vraiment compris Jérôme, reprend Hervé Valette, c’était chez ma mère, à Ardon. Ça devait être en 2006. J’ai découvert tellement de ressemblances entre lui et mon frère Léonard! Ils avaient le même style de vie, la même sensibilité, les mêmes fragilités aussi. Ma mère a vraiment pris soin de Jérôme, elle s’occupait de lui comme de Léonard. Un artiste a besoin qu’on l’entoure et qu’on suive son travail, il doit se sentir compris. J’ai exposé Jérôme pour la première fois en 2006 et ce fut un grand succès. A la Fondation Valette, on prend tout en charge financièrement: si l’artiste vend pour 50 000 francs il reçoit 50 000 francs. Je lui ai aussi prêté un appartement pendant deux ans pour qu’il puisse peindre sans avoir de soucis financiers».
Entre l’artiste et le mécène, c’est un dialogue permanent, mais jamais contraignant. «Hervé est très humain, mais très rigoureux, remarque Jérôme Rudin. Nous parlons beaucoup, il m’encourage à aller toujours plus loin». «Les artistes ont tous des périodes où ils sont très créatifs et où ils innovent, conclut Hervé Valette, et d’autres périodes où ils sont un peu répétitifs. En ce moment, Jérôme est dans une dynamique puissante, il y a beaucoup de force et une belle énergie dans ses œuvres».

 

Robert Habel