hors champ
La Constitution est-elle une fille facile?
Comme souvent sur une page blanche, la plume hésite entre dix rôles: faire la paix en Orient, vanter le génie de la Science, sauver la Démocratie déchue… Et cette fois, elle tremble: «Qu’on ne me fasse pas mimer le Genre: autour de la Journée des droits des femmes le 8 mars, toutes les plumes ont déjà tout dit!». Et pourtant…
Quand la France met les points sur les i dans sa Constitution, le Vatican est bien seul, à clamer que «l’avortement (…) ne peut être vu sous le seul angle du droit des femmes». Le premier réflexe du soussigné – non croyant et pécheur notoire – est de hausser les épaules: «Que sait-on – au Vatican – du sexe et de la femme, hormis l’Immaculée Conception, l’hérédité des Borgia ou les frasques d’un Jean Daniélou et de l’Abbé Pierre? Mais une fois ceci dit, ce verdict en noir et blanc prend des couleurs diverses au fur et à mesure qu’on y repense ou que les souvenirs reviennent.
La virginité contre la contagion
Mais qu’est-ce qui a donc poussé «l’Occident» à criminaliser le sexe et à bannir la fausse couche? Au point qu’on blâmait les premiers chrétiens de dépeupler l’Empire, tandis que les catholiques tardifs furent accusés de démographie galopante? Oh! le christianisme ne fut pas seul à avoir peur du sexe: sous son arbre, Bouddha ne procréait guère. Les peuples païens, eux, avaient d’autres modes de «contraception»: envoyer les jeunes mâles à la guerre ou offrir les jeunes vierges au vieux roi diminue la natalité. De toute façon, face aux aléas de la vie et de la santé, «proliférer» (qui donna «prolétaire») fut longtemps un outil de survie. Et une manière d’honorer les ancêtres: le film «Leïla» (cine-club-persan.ch) montre un couple aimant qui vole en éclat sous la pression d’une mère rêvant d’être grand-mère mais déçue par sa bru stérile.
Le coït, arme de guerre
Le temps n’est pas si loin où une femme sans enfants était accusée de saper la puissance nationale. Après la Révolution, les Chinois étaient fiers de croître en nombre, avant d’en venir à «l’enfant unique». Le Japon avait déjà fait de nécessité vertu: son essor démographique d’avant-guerre avait conduit à la conquête et au désastre. En Inde, des «saints» allaient de village en village emplir les femmes quand le mari dormait trop (un roman tamoul sur le sujet a encore valu un procès à son auteur). Depuis lors dans ce pays, l’excès a plus d’une fois changé de camp, avec des abus d’équipes médicales puis le slogan «dix gosses par mère».
Tuer dans l’œuf ou laisser mourir?
La France de Napoléon – géant de l’Europe par sa richesse rurale – a été saignée à blanc puis s’est fait doubler en nombre au siècle suivant par l’Angleterre et l’Allemagne industrielles. D’où les «allocations familiales», qui peinèrent à combler le déficit, mais permirent aux familles de s’acheter une voiture! Avant la «libération sexuelle» qui a balayé le monde de Woodstock à Nanterre, les Françaises contournaient la loi en se faisant avorter à Genève (gallica.bnf.fr/blog/print/1612?mode=desktop). Un siècle plus tôt, elles plaçaient leur bâtard «en nourrice» (exemple: prunay-le-gillon.fr/les-enfants-places-en-nourrice-a-prunay-1846-1912/). Quand la «pilule» offrit une solution, le Président De Gaulle refusa qu’elle fût offerte par la «sécurité sociale», qui n’était «pas faite pour payer les loisirs». Et c’est une logique post-moderne qui poussa des Américaines à défiler sous des pancartes «Don’t kid!».
La modernité est-elle archaïque?
On retrouve le dilemme de la natalité même au Proche-Orient: Israël importe des Russes convertis et des croisés yankees tandis que Gaza fait des enfants sous les bombes… et double sa population en dix ans Au même moment, en Occident, l’amour libre génère des couples tardifs coincés dans les impasses de l’adoption. Surtout quand le couple est du même sexe: ce sont eux ou elles le dernier rempart du modèle rétro «deux parents avec enfants». Bref, on voit bien que les slogans clamés depuis un demi-siècle – «Mon corps m’appartient!», «C’est moi qui décide!» voire «Moi d’abord!» – brisent des chaînes, mais ne disent pas tout. Une avocate française, à la fois catholique et féministe, avait hésité à défendre un homme qu’une partenaire d’un soir voulait rendre père (ledit soir, la passade était assumée comme telle par les deux parties): elle mit le plaignant à la porte avant de se raviser.
A quoi bon être dur comme bois?
Certes, même le plus macho des hommes ne peut nier ce que les femmes ont vécu des siècles durant: mortes en couches, séduites et rejetées, torcheuses à vie… Tout n’a pas été dit, certes, rappelle le Vatican, mais la phrase que la République Française a ajoutée à sa Constitution est bien innocente. La seule vraie question, sans doute, reste: «Fallait-il mettre ce droit dans la Constitution, entre le rôle des Trois Pouvoirs et le statut spécial des Canaques?» A faire d’une Constitution un catalogue des Jouets Weber, on se retrouve avec des peuples d’enfants gâtés. La formule magique, c’est un dessin animé qui l’a trouvée (blackmovie.ch/2024/fr/films/fiche_film.php?id=2021): à 50 ans pile et grâce à la génétique, les humains s’y muent d’office en arbres.