L’impôt sur la valeur locative, un système curieux et contestable

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Impôt sur la valeur locative

L’OCDE et le FMI recommandent sa suppression

6 Oct 2021 | Finance immobilière

Système fiscal quasiment unique au monde: la Suisse prélève un impôt sur la valeur locative des logements (appartements ou villas) occupés par leur propriétaire. Dans ce cadre, le fisc évalue le loyer que pourrait encaisser le propriétaire s’il n’occupait pas son logement. Le propriétaire est par conséquent imposé sur un revenu purement fictif (voir également le Journal de l’Immobilier No 2, du 29 septembre 2021).

Cet impôt est tellement injuste que des parlementaires fédéraux ont décidé de se (re)mobiliser en faveur de son abolition. Et ils ne manquent pas d’arguments.

Un impôt de «crise»!

Pour rappel, l’impôt sur la valeur locative a été institué en… 1934. Soit à une époque où la conjoncture était confrontée à une grave crise économique qui a, notamment, entraîné la Seconde Guerre mondiale. Mais comme tout impôt de crise, l’impôt «survit» à la crise.
Et l’impôt sur la valeur locative ne déroge pas à la règle, puisque depuis 1934 il est toujours d’actualité. Plusieurs tentatives pour tenter d’abolir ou d’édulcorer cet impôt n’ont toutefois pas trouvé grâce en votation populaire.
La dernière remonte à la votation populaire de septembre 2010, au cours de laquelle l’Initiative populaire «Sécurité du logement à la retraite» a été rejetée à une très courte majorité.
Aujourd’hui l’impôt sur la valeur locative concerne en Suisse plus de 1,4 million de ménages propriétaires, ce qui correspond à 36,4% de l’ensemble des logements. Il s’agit là du pourcentage le plus bas de tous les pays européens dont aucun, à quelques rares exceptions, ne connaît l’équivalent de l’impôt sur la valeur locative «made in Switzerland».
A noter également qu’en Suisse, on constate d’importantes disparités cantonales. En particulier, les cantons qui sont les moins bien gérés en termes de dette publique par habitant, soit Bâle-Ville et Genève, affichent les taux de logement en propriété les plus bas (respectivement 15,8% et 18,1%).

Des propriétaires (sur)endettés

Le système actuel de l’imposition sur la valeur locative, outre qu’il est extrêmement problématique à l’égard notamment des propriétaires arrivés à l’âge de la retraite, comprend un autre effet pernicieux.
En effet, afin d’atténuer les rigueurs de l’imposition sur un revenu purement fictif, le système fiscal actuel prévoit que le propriétaire d’un bien immobilier puisse déduire les intérêts de sa dette hypothécaire.
Cette règle n’a dès lors pas manqué d’inciter de très nombreux propriétaires à recourir à un maximum d’emprunts hypothécaires afin de compenser l’imposition de la valeur locative de leur logement par la déduction de leur intérêts hypothécaires. Et cela même lorsque leur situation financière n’exigeait pas qu’ils recourent à l’emprunt hypothécaire.
Par ailleurs, le système actuel de l’imposition sur la valeur locative n’incite bien évidemment pas les propriétaires à amortir leurs dettes hypothécaires. Au contraire.

La Suisse, championne de la dette hypothécaire

Cet engouement pour l’endettement hypothécaire, provoqué par une fiscalité immobilière bien trop vorace, fait de la Suisse le pays où l’endettement privé est l’un des plus élevés d’Europe.
Après le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas, la Suisse est le pays qui annonce les dettes des ménages privés les plus élevées des pays de l’OCDE. En particulier, ces dettes représentent le double de celles de la France, du Japon et même des Etats-Unis. Et ces dettes ne cessent de s’accroître, à un rythme relativement élevé.
Des chiffres: en 2019, les crédits hypothécaires des ménages privés en Suisse s’élevaient à plus de 800 milliards de francs.

Alertes du FMI et de l’OCDE

Or un endettement trop important des dettes privées n’est de loin pas sans risque pour l’équilibre d’un pays. Surtout lorsque les taux hypothécaires, actuellement très bas, prennent soudainement l’ascenseur. Et cette perspective n’est de loin pas purement fictive!
Dans un tel cas de figure, les débiteurs seront confrontés à de sérieux problèmes financiers, dans la mesure où ils ne pourront plus faire face à leurs dettes hypothécaires dont le montant aura «explosé». Et, double peine, cette situation pourra entraîner une baisse drastique de la valeur de leur bien immobilier, valeur qui pourrait ne plus couvrir le montant emprunté.
Ce qui obligera bon nombre de ménages privés, dans l’incapacité de faire face à l’augmentation de leurs dettes hypothécaires, à vendre leur bien immobilier, de surcroît à perte.
Or la Suisse a déjà été confrontée à une telle crise financière dans les années 1980-1990. Cette crise n’a manifestement pas porté ses leçons. Pire, elle est même largement tombée dans l’oubli.
Et pourtant, des institutions internationales, et pas des moindres (OCDE et FMI en tête) n’ont pas manqué, encore récemment, d’alerter la Suisse sur les effets pervers pour son économie de la taxation des valeurs locatives purement fictives dont elle s’est faite la championne.
Le FMI recommande d’ailleurs expressément à la Suisse d’abolir l’imposition de la valeur locative ainsi que, parallèlement, la déduction des intérêts hypothécaires.
Il est toutefois encore temps de réagir avant qu’il ne soit trop tard.

Initiative parlementaire pour la suppression de l’impôt sur la valeur locative

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’actuelle Initiative parlementaire visant à supprimer l’imposition de la valeur locative, ainsi que, en parallèle, la déduction, totale ou partielle, des intérêts hypothécaires.
Cette Initiative a fait l’objet d’un rapport daté du 27 mai 2021 de la Commission de l’économie du Conseil des Etats, comprenant un projet de loi fédérale relative au changement de système d’imposition de la propriété du logement.
Le Conseil fédéral, qui n’est pas à l’initiative d’un tel projet, a récemment déclaré qu’il le soutenait dans les grandes lignes. Il est toutefois d’avis que le changement de système envisagé devrait également s’étendre aux résidences secondaires, ce que le projet ne prévoit pas.
Par ailleurs, le Conseil fédéral se montre moins drastique que les initiants en ce qui concerne l’abolition de la déduction des intérêts passifs. Il suggère en effet de maintenir cette déduction, en la limitant toutefois à concurrence de 70% du rendement imposable de la fortune.
Cela étant, le projet va maintenant être soumis au Parlement, au sein duquel les débats sur un sujet aussi épineux ne manqueront assurément pas d’être animés!

 

Patrick Blaser
Avocat associé,
Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch