Avec près de 1,4 milliards de francs du capital investi dans le marché de bureau, les investisseurs privés et les fondations de placement ont été les plus actifs sur le marché genevois.

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MARCHéS IMMOBILIERS - SPGI analyse le marché lémanique du bureau

L’essor inexorable des critères ESG

21 Juin 2023 | Finance immobilière

Dans une période d’investissements inquiétée par la hausse à répétition des taux directeurs de la BNS, pas de salut pour la valeur des biens qui ne répondent pas aux critères de durabilité. Tel est le point fort du Rapport sur le marché romand des bureaux en 2022 présenté par SPGI, leader suisse en immobilier commercial. Devant un vaste public d’investisseurs, la présentation a été marquée par la présence de Bertrand Piccard, pionnier de l’énergie solaire aéronautique et grand défenseur de la durabilité.

AGenève, après le pic exceptionnel de 2021, marqué par deux transactions d’envergure – la vente de l’immeuble Pictet pour 615 millions de francs et celle de BNP Paribas à 270,3 millions -, le volume total des investissements a reculé à Genève en 2022 (-14%) pour s’établir à 1,27 milliards. Un retour aux résultats des années précédentes, constitués par une quarantaine de transactions annuelles. Au premier semestre, 2023 enregistre 54,8 millions de ventes d’actifs de bureaux, notamment des surfaces en PPE. Avec la croissance de 4,2% des emplois dans le tertiaire par rapport à 2021, la demande locative s’est revigorée, sachant que le marché tendu au centre-ville – rive gauche et quartier des banques – (taux de disponibilité 2%) fait grimper le prix médian du mètre carré à près de 22 000 francs, alors qu’il se chiffre à 6300 francs dans le secteur de l’aéroport, Vernier, Meyrin.

Dynamisé notamment par le pôle de Pont-Rouge, le PAV (Praille-Acacias-Vernets) participe de la demande en zone urbaine, qui concentre 81% des transactions, selon Henri-François Petit, co-responsable du département des Locations SPGI à Genève. A contrario, le secteur de l’aéroport, qui accuse un taux de vacance de 20%, souffre de ses loyers trop élevés, du télétravail qui a pesé sur l’absorption des surfaces disponibles et du départ de sociétés internationales, comme la banque HSBC qui a libéré d’un coup 17 000 m2. «Une adaptation s’impose. Des surfaces modernes et aménagées avec des loyers plus adaptés à l’évolution du marché devraient relancer l’intérêt pour cette région périphérique», observe, confiant, Bertrand Maag, à la tête du département Evaluation et Consulting. Notons que depuis 2019, les biens proposés sont désormais livrés entièrement aménagés et non plus semi-finis.

Les assurances, grandes absentes

Avec près de 1,4 milliards de francs du capital investi dans le marché de bureau, soit 20% à 22% du volume total, les investisseurs privés et les fondations de placement ont été les plus actifs sur le marché genevois. Pas moins de 90% du volume de transactions ont été opérés par des investisseurs suisses. Globalement, les étrangers n’ont constitué que 10% du volume des ventes ces cinq dernières années, la majorité d’entre eux se concentrant sur des biens à repositionner (du type added value). Par ailleurs, les rendements immobiliers offerts sur d’autres marchés européens leur apparaissent plus attrayants. «Les grands investisseurs absents sont les assurances, relève Sandra Claudia Andres, directrice commerciale et responsable du département Investissements chez SPGI. Cette faible affluence, comparée aux années précédentes, découle d’une proportion déjà importante d’actifs commerciaux. Cette catégorie d’investisseurs est dès lors davantage occupée à optimiser ses portefeuilles».

Rendements et essentielle durabilité

L’ère des taux d’intérêt négatifs avait accru la demande d’investissement et entraîné des hausses significatives des prix de vente. Couplé à la taille relative du marché genevois, ce modèle en place depuis plusieurs années avait conduit à la compression des rendements, particulièrement en ville, rive gauche. En 2021, le rendement brut prime avait atteint, avec 2,6%, son plus bas historique. La hausse de l’inflation et le retour des taux d’intérêt positifs en juin 2022 ont donné un coup d’arrêt à l’augmentation des prix. Le taux de rendement brut prime se monte à 2,9% au centre-ville à fin 2022. Le rendement brut médian des transactions depuis 2018 dans le canton est de 3,6%.
«Les valeurs des immeubles de bureaux sont dorénavant également dictées par les critères de durabilité, plus qu’un quelconque autre type d’actif», insistent les experts de SPGI. Stimulée par le nouveau Règlement d’application de la Loi sur l’énergie (REn), l’orientation «verte» est irréversible pour les investissements axés sur le long terme. Les acquéreurs potentiels sont désormais aussi sensibles aux facteurs constructifs et fonctionnels de la transition énergétique et aux critères environnementaux, sociétaux et de gouvernance, qu’à l’emplacement des immeubles.

«Certains ont même choisi de ne plus se positionner sur des biens ne présentant pas des caractéristiques en phase avec la durabilité, au vu du rapport défavorable entre le risque et le rendement», note Bertrand Maag. Entre les immeubles dépréciés et ceux lancés dans la transition énergétique, le risque d’un marché à deux vitesses est bien réel.
Devant un vaste public d’investisseurs et spécialistes de l’immobilier, la présentation de SPGI a été marquée à propos par la présence de Bertrand Piccard, célèbre pionnier de l’aviation solaire et explorateur de la durabilité. Pour lui, le monde n’ira nulle part si nous essayons de protéger l’environnement au détriment du confort et du développement économique. «Au contraire de la sobriété contraignante, l’efficience énergétique nous pousse à vivre mieux en gaspillant moins. Les techniques démodées coûtent très cher et les ressources sont limitées. Et d’ajouter: Dans tous les secteurs économiques, nous devons explorer et aller au-delà du connu, car le futur ne peut être une extrapolation du passé».

Evolution du rendement brut prime en % – Genève.
Evolution du rendement brut prime en % – Vaud.

Marché vaudois porteur

Alors que 10% des demandes d’espaces dans le canton de Vaud sont passées à a trappe durant la pandémie, la reprise du marché de la location en 2021 et 2022 fait écho à la relance de l’emploi. Avec sa forte économie et de grandes institutions comme l’EPFL et le CHUV, la réputation de la région en tant que lieu propice aux affaires attire les investisseurs nationaux et étrangers. Les transactions de SPGI, tous secteurs confondus, sont montées en puissance, passant progressivement de 50% à 80% de ses activités en 2022. Bien que les données soient plus opaques dans le canton, les transactions du marché dans sa totalité (y compris les biens résidentiels et industriels) sont passées de 5 à 11 milliards de francs en cinq ans. Un résultat équivalent à celui de Genève, qui se rattrape en prix de vente/m2 en raison de la rareté de l’offre. Toutefois, à l’instar du canton du bout du lac, les neuf derniers mois accusent un ralentissement du marché d’immeubles de bureau, imputable aux zigzags des taux d’intérêt. Globalement, la tendance des dernières années a misé sur des espaces administratifs haut de gamme, en particulier à Lausanne, pôle majeur des investissements dominé par quelques grands acteurs, dont Mobimo et Swiss Prime Site.

Avec un stock de surfaces de bureaux de quelque 5 millions de mètres carrés à travers le canton, maintenu malgré le frein aux constructions durant la pandémie, le taux de disponibilité à Lausanne reste bas et à faible risque locatif (2,2% et même 1,5% en centre-ville), contre un taux de vacance moyen de 10% à 13% en région périphérique. Les grandes transactions de bureau découlent majoritairement de nouvelles stratégies immobilières de grandes entreprises, notamment des processus de cession-bail. Comme ailleurs en Suisse, les transactions des derniers mois relèvent principalement de vendeurs «utilisateurs» et non d’investisseurs. Le profil des acquéreurs est relativement identique à celui de Genève, mais avec une présence notable d’investisseurs locaux – privés et fonds immobiliers -, particulièrement actifs dans les zones périphériques.

Rendements et prix de vente

En 2022, le rendement brut estimé à 3,3% et les loyers sont restés stables dans le canton, avec une croissance modérée aux emplacements de choix. En ligne avec d’autres grandes villes européennes, Lausanne dont le centre-ville et côté lac affichent des loyers de 450 à 500 francs/m2/an, réalise des rendements bruts prime de 3% à 3,5% depuis 2018. Dans les zones périphériques, l’hétérogénéité des biens génère une large fourchette de rendements. Il est de 4,25% à 5% à Nyon et Morges, qui jouissent de bonnes infrastructures de transport. En régions moins dynamiques, il se situe entre 5,5% et 6,5%.

En quête de sérénité

Le marché romand a besoin de sérénité et d’une meilleure visibilité, embrumée jusqu’ici par les relèvements à répétition des taux d’intérêt de la BNS et la fin des politiques accommodantes des banques. En ajoutant la guerre russo-ukrainienne, l’importante inflation mondiale et le besoin d’intégrer les critères ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) à l’immobilier, les investisseurs ont besoin de données fiables et dont la granularité soit adaptée à leurs besoins. L’ambition de l’étude du marché de bureau Genève et Vaud présentée par SPGI est d’y contribuer, en sa qualité de leader en immobilier commercial.

 

Viviane Scaramiglia