L’hypothèque légale, idéale pour les artisans qui n’ont pas été payés par l’entreprise générale, un peu moins pour les futurs propriétaires.

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Entreprises impayées

L’arme fatale de l’hypothèque légale

9 Fév 2022 | Finance immobilière

Souvent, en fin de chantier, les entreprises peinent à se faire payer l’intégralité de leurs prestations. Or le législateur a mis en main de ces entreprises une arme fatale pour obtenir le paiement de leurs travaux: il s’agit de l’hypothèque légale des entrepreneurs.

Cette arme, prévue par la loi (art. 839 et ss du Code civil), permet à l’entrepreneur de faire inscrire une hypothèque en sa faveur sur l’immeuble dans lequel il a effectué des travaux, en garantie de ses factures impayées. Mais pour pouvoir obtenir l’inscription d’une hypothèque légale en sa faveur, l’entrepreneur doit impérativement suivre une procédure particulièrement rigoureuse. A défaut, l’arme de l’hypothèque légale pourrait irrémédiablement s’enrayer au détriment de l’entrepreneur.
C’est d’ailleurs ce que nous confirme un récent arrêt, rendu par le Tribunal fédéral le 26 novembre 2021 (ATF 5A_630/2021).

Quels entrepreneurs peuvent-ils bénéficier de l’hypothèque légale?

Selon la loi, peuvent formellement requérir l’inscription d’une hypothèque légale:
• les entrepreneurs,
ou
• les artisans, qui ont effectué sur un
immeuble des travaux de:
• construction ou de démolition,
• sécurisation,
• montage d’échafaudages.
Les corps de métiers concernés vont ainsi du maçon au charpentier, en passant par les installateurs. Les sous-traitants de ces corps de métiers bénéficient également du droit à l’hypothèque légale. En revanche, les architectes, voire les ingénieurs, ne font pas partie des bénéficiaires de l’hypothèque légale.

Attention au délai!

La loi prévoit que l’hypothèque des entrepreneurs peut déjà être requise – et inscrite! – au moment de la conclusion du contrat. Ce droit est toutefois, bien évidemment, rarement exercé.
Cela étant, l’entrepreneur doit bien garder à l’esprit que si le paiement de ses factures s’avère en souffrance, il doit impérativement demander, et obtenir, l’inscription de l’hypothèque légale dans un délai de quatre mois après l’achèvement des travaux. A défaut du respect de ce délai, l’inscription de l’hypothèque légale lui sera refusée.
Il est par conséquent fondamental que la date d’achèvement des travaux soit précisément déterminée, et cela quasiment au jour près.
C’est d’ailleurs souvent sous cet angle que le propriétaire de l’immeuble conteste le bien-fondé de l’inscription d’une hypothèque légale de l’entrepreneur, en excipant que ce dernier n’a pas respecté le délai fatidique des quatre mois après l’achèvement des travaux.

Détermination de la date
d’achèvement des travaux

Dans son arrêt du 26 novembre 2021, le Tribunal fédéral a rappelé qu’il y avait «achèvement des travaux» quand tous les travaux qui constituaient l’objet du contrat d’entreprise avaient été exécutés et que l’ouvrage était livrable.
Ne sont considérés comme «travaux d’achèvement» que ceux qui doivent être exécutés en vertu du contrat d’entreprise et de son descriptif. Ne sont cependant pas prises en considération les prestations commandées en surplus, sans qu’on puisse les considérer comme entrant dans le cadre élargi du contrat.
Par ailleurs, des travaux de peu d’importance ou accessoires, différés par l’entrepreneur, ne constituent pas des «travaux d’achèvement». Il en va de même des travaux de retouche (remplacement de parties livrées mais défectueuses; corrections de quelques défauts).
Il est important de souligner que le délai légal de quatre mois commence à courir dès l’achèvement des travaux et non pas dès l’établissement de la facture, même si ce dernier élément peut constituer un indice de la fin des travaux.

Quid en cas de pluralité de contrats?

Dans le cas spécifique jugé par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 26 novembre 2021, les juges appelés à statuer ont été confrontés à la problématique liée à l’exécution par une même entreprise de plusieurs contrats.
Dans ce cadre, lorsqu’une entreprise a travaillé en exécution de plusieurs contrats, elle possède autant de créances distinctes. Dans ce cas, le délai d’inscription d’une hypothèque légale court en principe séparément, pour chaque contrat, dès l’achèvement des travaux auquel ils se rapportent.
Cependant si les objets des divers contrats sont étroitement liés les uns aux autres, au point de constituer économiquement et matériellement un tout, il faut les traiter comme s’ils avaient donné lieu à un seul contrat. Il faut considérer que différents contrats forment une unité s’ils sont tellement imbriqués les uns aux autres qu’ils forment un tout d’un point de vue pratique.
Dans cette hypothèse, l’entrepreneur est en droit de faire inscrire l’hypothèque légale pour le montant total de ce qui lui est dû, dans les quatre mois après l’achèvement des derniers travaux formant cette unité.
En revanche, lorsqu’un entrepreneur se voit attribuer après coup d’autres travaux de nature différente, le délai commence à courir pour chacun d’eux, séparément, à partir de l’achèvement des travaux auxquels il se rapporte. De même, si, en vertu d’un seul contrat, plusieurs ouvrages ont été commandés sur un seul immeuble, le délai commence à courir, en principe, séparément pour chaque ouvrage. Toutefois, le Tribunal fédéral a admis qu’il y avait un délai unique lorsque les ouvrages à réaliser étaient fonctionnellement interdépendants et avaient été construits d’un seul trait.
Dans le cas jugé le 26 novembre 2021 par le Tribunal fédéral, il avait été admis que les travaux résultant des différents contrats d’entreprise ne formaient pas une unité. De la sorte, le délai de quatre mois courait séparément pour chacun de ces contrats.
Par conséquent, seule la créance découlant de chacun de ces contrats pouvait être garantie par une hypothèque légale, dans la mesure où cette dernière était sollicitée dans le délai de quatre mois après l’achèvement des travaux spécifiques à chacun des contrats.

Quelle est la procédure judiciaire à suivre?

L’entreprise qui s’estime légitimée à solliciter l’inscription d’une hypothèque légale doit saisir le Tribunal de première instance d’une requête en inscription provisoire d’une hypothèque légale par voie de mesures provisionnelles.
Saisi d’une telle requête, le juge doit statuer rapidement, afin de ne pas mettre en péril la validité de l’inscription provisoire de l’hypothèque légale, qui doit impérativement être inscrite au Registre foncier dans le délai de quatre mois dès l’achèvement des travaux.
Vu la brièveté de ce délai, le juge statue dans un premier temps sur la base des faits allégués et prouvés par pièces dans la requête, sans audition préalable des parties.
Si la condition du délai de quatre mois lui parait réalisée, le juge autorise l’inscription provisoire de l’hypothèque légale, dans la mesure où les autres conditions prévues par la loi le sont également.
Le juge ne peut refuser l’inscription provisoire que si l’existence du droit à l’inscription définitive du droit de gage lui paraît d’emblée exclue ou hautement invraisemblable.
En cas de doute, c’est-à-dire lorsque les conditions de l’inscription sont incertaines, le juge doit tout de même ordonner l’inscription provisoire. Le doute doit, par conséquent, toujours profiter à l’inscription de l’hypothèque légale!
Dans ce contexte, selon le Tribunal fédéral, le juge tomberait dans l’arbitraire s’il devait rejeter la requête en présence d’une situation de fait ou de droit mal élucidée, qui mériterait un examen plus ample que celui auquel il pourrait procéder dans le cadre d’une instruction sommaire.
Si l’entreprise obtient l’inscription provisoire d’une hypothèque légale, elle devra faire avaliser cette inscription dans le cadre d’une procédure ordinaire d’inscription définitive de l’hypothèque légale, au cours de laquelle le propriétaire expliquera pourquoi il conteste, cas échéant, le bien-fondé de la créance de l’entrepreneur (montants des factures, défauts de construction, retard dans l’exécution des travaux, compensation, etc.).
Si le bien-fondé de l’opposition du propriétaire est établi, l’hypothèque légale définitive ne sera pas accordée et l’hypothèque légale provisoire sera révoquée. A défaut, l’hypothèque légale définitive sera accordée à l’entreprise.
Comme on peut le constater, l’entrepreneur bénéficie, grâce à l’hypothèque légale des entrepreneurs, d’une arme redoutable pour garantir le paiement de ses factures. Encore faut-il que l’entrepreneur utilise cette arme avec les précautions juridiques qu’elle impose.

 

Patrick Blaser
Avocat associé, Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch