LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Entrepreneurs impayés
L’arme fatale de l’hypothèque légale
Le Tribunal fédéral a récemment rendu un arrêt de principe fondamental. Il précise les règles à suivre par un entrepreneur dont les factures sont impayées et qui entend, à titre de garantie, obtenir l’inscription d’une hypothèque légale, à hauteur de sa créance, sur l’immeuble sur lequel il a exécuté des travaux.
Il faut savoir que l’inscription d’une hypothèque légale peut déjà être requise au moment de la conclusion du contrat. Toutefois, les entrepreneurs recourent rarement à cette possibilité juridique. Et c’est compréhensible!
En général, ce n’est que lorsque se manifestent des frictions avec le maître d’ouvrage concernant le paiement des travaux que l’entrepreneur envisage de faire inscrire une hypothèque légale.
Délai de quatre mois après l’achèvement des travaux
Mais l’entrepreneur ne peut pas faire procéder à cette inscription en tout temps. Selon la loi, l’entrepreneur doit avoir requis, et obtenu, une telle inscription au Registre foncier au plus tard dans les quatre mois qui suivent l’achèvement de ses travaux. Passé ce délai, l’entrepreneur est forclos à pouvoir requérir une telle inscription.
Ce délai de quatre mois est un véritable couperet. Il s’agit en effet d’un délai de péremption qui ne peut être ni suspendu, ni interrompu. Dans ce cadre, le délai de quatre mois est sauvegardé par l’annotation d’une inscription provisoire de l’hypothèque légale au Registre foncier, laquelle devra toutefois être confirmée par la suite par le Juge pour devenir définitive.
Qu’entend-on par achèvement des travaux?
Pour établir que l’entrepreneur a bien respecté le délai de quatre mois pour obtenir l’inscription d’une hypothèque légale, il lui appartient de prouver à quelle date remonte l’achèvement des travaux, date de départ du délai.
Selon le Tribunal fédéral, il y a achèvement des travaux quand les travaux qui constituent l’objet du contrat d’entreprise ont été exécutés et que l’ouvrage est livrable.
Ne sont considérés comme travaux d’achèvement que ceux qui doivent être exécutés en vertu du contrat d’entreprise et de son descriptif. En revanche, ne sont pas considérés comme des travaux d’achèvement les prestations commandées en surplus qui n’entrent pas dans le cadre élargi du contrat.
Par ailleurs, des travaux de peu d’importance, ou accessoires, différés intentionnellement par l’entrepreneur, ne constituent pas des travaux d’achèvement. Il en va de même des travaux de retouches (remplacement de parties livrées mais défectueuses ou correction de quelques autres défauts).
Les travaux effectués par l’entrepreneur en exécution de l’obligation de garantie n’entrent pas non plus en ligne de compte pour le calcul du délai de quatre mois.
Cependant, lorsque des travaux indispensables, même d’importance secondaire, n’ont pas été exécutés, l’ouvrage ne peut pas être considéré comme achevé. En particulier des travaux nécessaires, notamment pour des raisons de sécurité même de peu d’importance, constituent des travaux d’achèvement.
Enfin, le délai de quatre mois commence à courir dès l’achèvement des travaux et non pas dès l’établissement de la facture, même si cet élément peut constituer un indice de la fin des travaux. Il en résulte que lorsque des travaux déterminants sont encore effectués après la facturation et ne constituent pas des travaux de réparation ou de réfection consécutifs à un défaut de l’ouvrage, ils doivent être pris en compte pour le dies a quo du délai de quatre mois.
Cela étant, le fait que l’entrepreneur présente une facture pour son travail donne toutefois à penser, en règle générale, qu’il estime que l’ouvrage est achevé.
Procédure judiciaire à suivre
L’entrepreneur qui s’estime légitimé à pouvoir demander et obtenir une inscription d’hypothèque légale doit saisir le Tribunal de première instance d’une requête par voie de procédure sommaire. Saisi d’une telle requête, le juge doit autoriser l’inscription si le droit allégué lui paraît vraisemblable.
Vu la brièveté et l’effet péremptoire du délai de quatre mois, le juge ne peut refuser l’inscription demandée que si le droit à l’inscription paraît d’emblée exclu ou très invraisemblable. En cas de doute, c’est-à-dire lorsque les conditions de l’inscription sont incertaines, le juge doit tout de même ordonner l’inscription provisoire de l’hypothèque légale.
Dans un premier temps, le doute doit par conséquent profiter à l’entrepreneur qui sollicite l’inscription d’une hypothèque légale. Par la suite, il appartiendra au juge du fond, en procédure ordinaire, de décider si, au vu de la procédure qu’il a diligentée, il doit confirmer ou non l’inscription de l’hypothèque légale. Si tel est le cas, cette inscription devient définitive.
En général, ce n’est que lorsque se manifestent des frictions avec le maître d’ouvrage concernant le paiement des travaux que l’entrepreneur envisage de faire inscrire une hypothèque légale.
Interprétation plus restrictive de la notion d’«achèvement des travaux»
Il ressort de ce qui précède que la pierre angulaire pour l’obtention d’une hypothèque légale des entrepreneurs réside dans le respect du délai de quatre mois suivant l’achèvement des travaux.
Par conséquent, la question qui se pose est de savoir à partir de quand l’entrepreneur doit considérer que les travaux pour lesquels il a été mandaté sont achevés. Et c’est sur cette question que le Tribunal fédéral a été appelé à se prononcer dans son arrêt du 30 août 2023, qui concernait la construction d’une piscine avec aménagement d’un jardin.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral, suivant en cela le juge cantonal, a fait une interprétation assez restrictive de la notion d’achèvement des travaux.
Dans le cas d’espèce, le juge cantonal avait en effet jugé que le maître d’ouvrage n’avait pas apporté la preuve que l’achèvement des travaux était intervenu dans le délai de quatre mois avant l’inscription de l’hypothèque légale. A ce propos, le juge cantonal a considéré que les travaux effectués après cette date n’étaient que des travaux différés ou des travaux de suppression des défauts invoqués par l’entrepreneur qui n’entraient pas dans le cadre stricto sensu de l’achèvement des travaux.
Sur cet aspect, le Tribunal fédéral a jugé que le juge cantonal n’avait pas apprécié les preuves de façon manifestement insoutenable. En particulier c’est, selon le Tribunal fédéral, sans arbitraire que le juge cantonal a considéré que certains travaux accessoires avaient été intentionnellement différés par l’entrepreneur lui-même et que d’autres consistaient en travaux de remplacement de parties livrées mais défectueuses, de corrections de quelques autres défauts, voire de travaux effectués en exécution de la garantie.
Or le Tribunal fédéral, à l’instar du juge cantonal, a jugé que ce genre de travaux ne pouvaient pas être assimilés à des travaux d’achèvement de l’ouvrage sous l’angle de l’inscription d’une hypothèque légale des entrepreneurs.
Résultat? Pour ces raisons, l’entrepreneur a finalement été débouté de sa demande en inscription d’une hypothèque légale. Leçon à retenir? Après avoir exécuté l’essentiel des travaux, l’entrepreneur qui n’est pas complétement payé ne doit pas trop tergiverser avant de décider à déposer une requête en inscription d’une hypothèque légale. Sous peine, en cas de tardiveté, d’être forclos à pouvoir le faire.