Indice ESG
Des résultats mitigés…
La durabilité, dans l’immobilier, on en parle beaucoup, mais il est difficile de la mesurer. Et surtout de comparer entre eux les différents véhicules d’investissement. Pour pallier cette carence, l’Université de Lausanne a créé un indice ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) global. Dont les premiers résultats sont mitigés.
Pas besoin de vous faire un dessin: tous les professionnels de l’immobilier savent que la durabilité est le grand défi de ces prochaines années. Les objectifs de la Confédération sont clairs: neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour y arriver, la plupart des professionnels ont fait ou sont en train de faire une analyse de la durabilité de leur parc immobilier. Mais comme quasiment chaque méthode est différente, si, une fois ces analyses terminées, on a une bonne idée de sa situation personnelle, impossible de se comparer avec ses pairs. Il manquait ainsi un score ESG, calculé de manière identique pour tous.
C’est pourquoi le Center For Risk Management de l’Université de Lausanne (CRML) a calculé un indice ESG pour le secteur en collaboration avec la Banque Cantonale Vaudoise, et a publié un rapport à ce sujet voilà quelques semaines. Sur la base des données issues d’une vaste enquête, des scores ESG ont été calculés, puis agrégés pour fournir une vue globale du marché. «Au fil du temps, ce rapport annuel fournira une indication précieuse des tendances ESG dans l’immobilier suisse, assure Eric Jondeau, professeur à l’UNIL et co-directeur du CRML.
Une note moyenne médiocre
Premier constat, la note moyenne de durabilité du marché de l’immobilier indirect suisse est médiocre. «La note globale est de 4,70, en prenant une moyenne simple, et de 5,52, en prenant une moyenne pondérée par les actifs, sur une échelle de 0 (pire) à 10 (meilleur)». Les meilleures notes sont obtenues par les fondations immobilières, puis par les fonds de placement, tandis que les sociétés d’investissement sont derrière.
Par ailleurs, les scores tendent à être meilleurs pour les portefeuilles gérés par de grandes entités. «Cela peut s’expliquer par le fait qu’elles disposent de plus de ressources pour traiter les questions ESG, avancent les auteurs. Globalement, environ 50% des entités ont engagé au moins une personne à plein temps, responsable de la gestion des questions ESG, et 70% indiquent avoir mis en place un comité dédié ou une task force. Pas moins de 45% des répondants ont signé les Principes pour l’investissement responsable des Nations Unies (UN-PRI)».
Priorité à la réduction des émissions de CO2
Quand il s’agit de durabilité, les professionnels de l’immobilier parlent surtout des émissions de CO2, précisent les auteurs de l’étude. «Près de trois quarts des répondants disposent déjà d’objectifs clairs pour réduire leurs émissions de CO2 et atteindre le zéro émission nette». Ce qui représente une réduction de 16% d’ici 2025, 40% d’ici 2030 et 96% d’ici 2050, selon les calculs des auteurs de l’étude. Ils estiment d’ailleurs que «les mesures d’intensité énergétique, avec une moyenne de 105,49
kWh/m2, semblent être en ligne avec les objectifs de la transition climatique de 2050».
Malgré la prédominance des combustibles fossiles, le mix énergétique du portefeuille global semble évoluer dans le bon sens. «Les émissions moyennes de gaz à effet de serre s’élèvent à 19,58 kg CO2e/m2 et se comparent favorablement au plafond de 20 kg CO2e/m2 envisagé dans la dernière révision du projet de loi CO2». On verra, lors des prochaines éditions de l’enquête, l’évolution de ce niveau par rapport aux objectifs de neutralité carbone.
Ecarts entre les intentions et les mesures
Si la situation évolue bien du côté des émissions de gaz à effet de serre, il y a en revanche encore des progrès à faire sur d’autres fronts. Comme le remarquent les auteurs de l’étude, très peu d’entités rendent compte de l’utilisation de l’eau, de la production de déchets ou de la biodiversité. «A cet égard, il semble y avoir un écart entre les intentions, les politiques mises en place et les outils de mesure de la situation réelle».
Cette situation est d’ailleurs révélatrice d’un des problèmes fondamentaux de la durabilité en Suisse: les informations quantitatives sont souvent difficiles à obtenir. «Certains ne sont pas encore équipés pour fournir des chiffres précis sur les différentes dimensions environnementales de leurs portefeuilles». A l’exception, on l’a vu, des chiffres sur les émissions de CO2 et l’intensité énergétique, qui sont largement disponibles.
«Mais l’effort est en cours, avec une tendance claire vers plus de transparence», reconnaissent les auteurs, qui aimeraient cependant, en bons universitaires cartésiens, plus d’harmonisation au niveau des méthodologies utilisées. «Afin d’établir une évaluation du marché et des comparaisons pertinentes sur ces données, l’industrie doit impérativement évoluer vers des méthodologies et références uniformes».
Un peu de méthodologie
C’est justement pour obtenir des «références uniformes» que le Center For Risk Management de l’Université de Lausanne a créé son index de durabilité. Un questionnaire a été envoyé à 143 véhicules d’investissement immobiliers, qu’ils soient fonds, fondations ou sociétés immobilières: 59 entités ont participé, qui représentent environ deux tiers du marché de l’immobilier indirect en Suisse. Autrement dit, l’étude a pris en compte plus de 9000 immeubles, d’une valeur globale de plus de 110 milliards de francs, la plupart des grands gestionnaires ayant répondu, dont la quasi-totalité des fonds cotés.
Cette participation importante des grands gestionnaires pourrait entraîner un biais dans les résultats, reconnaissent les auteurs de l’étude: «L’ensemble du portefeuille couvert, dont l’année de construction moyenne est 1977, semble être plus jeune que la moyenne des immeubles en Suisse». Les taux de construction et de rénovation sont également assez élevés, impliquant des portefeuilles aux caractéristiques ESG probablement supérieures à la moyenne.