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Le TF a tranché

Autorisation de construire et voies d’accès

4 Mai 2022 | Finance immobilière

Une autorisation de construire 16 appartements a été annulée par le Tribunal fédéral, le projet ne disposant pas d’une voie d’accès suffisante*. Me Guillaume Rychner, avocat au Barreau de Genève, commente ici cet arrêt important faisant suite au recours qu’il avait déposé. (Réd.)

Me Guillaume Rychner.

Une parcelle du canton de Genève, sur laquelle est érigée une villa individuelle, est reliée au domaine public par une servitude de passage grevant le chemin privé de plusieurs voisins. Le libellé de la servitude de passage inscrite au Registre foncier spécifie qu’elle «ne profitera qu’à la villa (bâtiment n° 434) actuellement construite sur ladite parcelle, et non à des constructions ultérieures, sauf si celle-ci est destinée à remplacer la villa actuelle».

Projet de développement

En lieu et place de la villa actuelle, une demande d’autorisation de construire deux habitats groupés sur trois étages pour un total de 16 logements a été déposée au Département du territoire en 2017.
Cette demande d’autorisation de construire impliquait notamment l’élargissement de la voie d’accès en empiétant sur une parcelle voisine, ceci afin que les services du feu disposent d’un accès suffisamment large pour sécuriser les 16 logements projetés.
Les propriétaires du chemin d’accès grevé de la servitude de passage, ainsi que la voisine propriétaire de la parcelle sur laquelle devait empiéter la voie d’accès, étaient formellement opposés aux projets de construction. En effet, ils estimaient que la servitude concédée pour une villa n’était pas applicable pour les 16 logements projetés et que le passage nécessaire aux services du feu faisait défaut, puisque la voisine en question était formellement opposée à l’élargissement de la route sur sa parcelle.
L’autorisation de construire a néanmoins été délivrée et les griefs soulevés par les opposants ont été rejetés par les différentes instances cantonales avant que l’affaire ne soit portée au Tribunal fédéral (TF).

Garantie d’une voie d’accès

Conformément à l’article 22 alinéa 2 lettre b de la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT), l’autorisation de construire n’est délivrée que si le terrain est équipé. Tel est le cas, selon l’article 19 alinéa 1 LAT, lorsqu’il est desservi d’une manière adaptée à l’utilisation prévue par des voies d’accès. Une voie d’accès est adaptée à l’utilisation prévue lorsqu’elle est suffisante d’un point de vue technique et juridique pour accueillir tout le trafic de la zone qu’elle dessert. Il faut notamment que l’accès des services de secours soit assuré.
Selon la jurisprudence, l’autorité compétente peut autoriser une construction sur un bien-fonds qui, sans être directement accessible depuis la voie publique, l’est par le biais d’une servitude foncière, dans la mesure où cet accès est suffisant au regard de l’utilisation prévue. En cas de doute sur la capacité de l’accès prévu à répondre aux besoins de la future construction, l’autorisation de construire doit en principe être refusée. Cependant, s’il apparaît vraisemblable que la parcelle en cause dispose d’un accès suffisant en vertu du droit privé, il appartient aux recourants s’opposant au projet de démontrer que tel ne serait pas le cas.

Les voies d’accès doivent être garanties sur le plan juridique et technique (image prétexte).

Etendue de la servitude de
passage

Les autorités administratives genevoises ont constaté que la parcelle, en l’état, bénéficiait d’une servitude de passage et dès lors d’une voie d’accès.
Elles ont considéré, pour le surplus, que l’interprétation de la servitude relevait du droit privé et non du droit public. Il appartenait au recourant de saisir les juridictions civiles pour, cas échéant, faire constater que la servitude actuellement en vigueur ne trouverait plus application en cas de construction de 16 logements.
Or, comme soutenu par les recourants et finalement confirmé par la Cour de droit public du TF, le libellé de la servitude restreint expressément son étendue à l’usage d’une villa. Le projet de construction de 16 appartements ne disposait dès lors pas d’une voie d’accès et l’autorisation de construire n’aurait pas dû être délivrée.
Dans cette mesure, quand bien même les autorités administratives cantonales disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour analyser l’existence d’une voie d’accès, le TF a considéré qu’elles ne pouvaient pas délivrer l’autorisation de construire sans prendre en considération cette restriction expresse. Nul n’était dès lors besoin pour les recourants de saisir les juridictions civiles pour analyser plus avant cette servitude de passage.
Le TF a de plus rappelé qu’une voie d’accès devait exister, non pas en relation avec la parcelle en son état déjà construit, soit une villa, mais en fonction du projet de constructions futures, soit de 16 appartements.
Il était insuffisant que la parcelle telle qu’actuellement bâtie dispose d’une servitude de passage et dès lors d’une voie d’accès. Les autorités administratives auraient dû constater que cette servitude de passage ne serait pas applicable à un projet de construction de 16 logements et que la voie d’accès ferait défaut.
Le recours a été admis sur ce motif et l’autorisation de construire, ainsi que les jugements cantonaux, annulés.

Accès du Service du feu

Dans la mesure où une villa devait être remplacée par deux habitats groupés de 16 logements, les règles impératives en matière de sécurité imposaient une voie d’accès élargie.
Les autorités cantonales ont considéré, quand bien même l’autorisation de construire avait été délivrée sans condition suspensive, qu’il appartenait aux bénéficiaires de l’autorisation de prendre les dispositions qui s’imposaient pour acquérir auprès de la propriétaire voisine les droits d’élargir la voie d’accès.
Le TF rappelle cependant que, conformément à la jurisprudence, s’il est toléré que le projet ne dispose des voies d’accès adéquates qu’au moment de sa réalisation, ces voies d’accès doivent déjà être garanties au moment de la délivrance de l’autorisation de construire.
En l’occurrence, la propriétaire de la parcelle adjacente à la voie d’accès était opposée à tout empiètement sur son terrain, notamment par un transfert de propriété ou par la constitution d’une servitude de passage.
A défaut de garantie que le Service du feu puisse, au plus tard à la fin du chantier, accéder aux 16 logements, l’autorisation de construire ne devait pas être délivrée.
Pour ce motif encore, l’autorisation de construire et les jugements cantonaux ont été annulés.

Synthèse

Le libellé d’une servitude inscrite au Registre foncier doit être pris en considération par les autorités administratives, Département du territoire et tribunaux, notamment lorsque cette servitude est un élément sine qua non quant à l’existence d’une voie d’accès au projet de construction.
Tout propriétaire, souhaitant concéder une servitude spécifiquement limitée, sera dès lors bien avisé d’en faire définir les contours par un libellé précis, inscrit au Registre foncier.
Il ressort aussi de cet arrêt du TF que c’est la construction objet de la demande d’autorisation de construire qui doit bénéficier d’une voie d’accès. Il n’est pas suffisant de constater que la parcelle dispose d’une voie d’accès en son état bâti actuel.
A ce titre, la jurisprudence précise que la parcelle pourrait ne disposer des voies d’accès techniques et juridiques qu’à la fin du chantier. Cela étant, avant de se voir délivrer une autorisation de construire, le requérant doit être en mesure de démontrer que ces voies d’accès existeront à la fin du chantier et qu’elles sont déjà dans sa sphère d’influence.
Ces principes visent notamment à assurer qu’une fois l’autorisation de construire délivrée et les travaux initiés, ces derniers ne seront pas suspendus de manière urgente et pour une durée indéterminée, dans l’attente que certaines problématiques liées aux voies d’accès soient tranchées.

 

Guillaume Rychner

 

Etude Gros & Waltenspühl, Genève et Lausanne
* Arrêt du Tribunal fédéral 1C_341/2020
du 18 février 2022