Don Carlos de Watteville et Abbé de Baume, Jean de Watteville.

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histoire - Dynastie bernoise

Une sacrée famille!

16 Oct 2024 | Culture, histoire, philosophie

L’illustre famille bernoise des Watteville donna à l’Histoire plusieurs personnalités pour le moins rocambolesques. Nous avions déjà évoqué le cas de Catherine, aventurière et espionne du roi de France Louis XIV (voir Le Journal de l’Immobilier No 1, du 22 septembre 2021), mais d’autres membres de la famille eurent aussi une vie mouvementée.

Précisons d’abord que les Watteville s’étaient depuis longtemps dispersés dans toute l’Europe, en plusieurs branches. On en trouvait au service de France, d’Espagne (Batteville, prononciation espagnole) ou encore dans le Saint-Empire.
Commençons notre revue par Jean de Watteville1,qui débuta une carrière militaire au service de la Savoie, vite interrompue à la suite d’une blessure reçue une certaine nuit de décembre 1602…
En effet, pendant l’Escalade, tentative savoisienne de s’emparer la ville de Genève, il avait été l’un des premiers à grimper aux échelles dressées sur les remparts. D’ailleurs, une strophe de l’hymne genevois racontant cet épisode, le Cé qu’è lainô, mentionne notre homme:
Que la jeunesse avec toute la bande,
Vateville puis après d’Andelot,
S’enfuyaient tous comme font les levrauts.
Resté boiteux, il quitta la carrière militaire et se fit religieux cistercien puis abbé de la Charité dans le diocèse de Briançon. Protégé par le duc Emmanuel-Philibert de Savoie, il fut nommé évêque de Lausanne. Ses deux frères étaient des militaires au service de l’Espagne: Gérard de Watteville2, chef des troupes espagnoles en Franche-Comté, et Pierre ou plutôt Don Pedro3, général de cavalerie à Milan d’abord, puis à Perpignan, où il fut assassiné en 1632. Ce dernier avait deux fils, qui eurent un destin remarquable.

Un diplomate de choc!

Tout d’abord l’aîné, Charles (Don Carlos)4 , qui accomplit une brillante carrière en devenant vice-roi de Biscaye, chevalier de la Toison d’Or, gouverneur de San Sebastian et Saint-Jean-de-Luz et ambassadeur d’Espagne en Angleterre, entre autres. Cependant, ce poste fut marqué par un formidable scandale qui faillit presque déclencher une guerre, un comble pour un diplomate. Voici l’affaire: le 30 septembre 1661, les ambassadeurs étrangers se rendaient auprès du roi d’Angleterre Charles II et la coutume voulait que l’ambassadeur de France passe en premier, ce que contestait Don Carlos. Il décida de faire accompagner son cortège d’une quarantaine d’hommes en armes et de provoquer une rixe avec la délégation française, afin de lui passer devant. Bref, il y eut bagarre et même des morts! Furieux, Louis XIV se dit prêt à la guerre et exigea des excuses publiques. L’Espagne envoya donc un plénipotentiaire en France pour les présenter et Charles II exprima lui aussi ses regrets. Quant à Don Carlos, il fut rappelé à Madrid. Cependant, sa carrière n’en souffrit pas trop.

Un abbé excentrique

Le second fils de Pierre de Watteville, Jean ou Don Juan5, naquit à Milan où son père était encore en poste en 1618. Et, disons-le tout net, c’est lui dont la vie fut la plus tumultueuse. A dix-huit ans, il s’engagea dans la cavalerie espagnole et devint vite officier supérieur. En 1650/51, changement de cap. On le retrouve docteur en théologie et prêtre, tout en continuant à mener une vie dissolue. L’année suivante, Jean tua un officier de la reine d’Espagne et dut s’enfuir à Paris, où il se fit moine. Après avoir prononcé ses vœux en janvier 1654, il demanda à en être relevé le mois suivant.
Suit un vide dans sa biographie (de la fin de 1654 au début de 1658), puis le revoici abbé dans le Doubs puis, l’année suivante, abbé de Baume-Les-Messieurs en Franche-Comté, par la volonté du roi d’Espagne Philippe IV. Précisons que la Franche-Comté jouissait d’une certaine autonomie, malgré une forte influence espagnole et la menace d’une invasion française. Personnage pittoresque, Jean menait grand train et dépensait beaucoup. En 1665, il devint Maître des requêtes du Parlement de Dole et chargé de négocier une nouvelle alliance militaire avec les cantons suisses. Ces derniers temporisèrent, se disant prêts à intervenir mais, dans les faits, les cantons ne souhaitaient pas entrer en guerre contre la France.
Début 1668, la Franche-Comté fut envahie par les troupes françaises. Et là, coup de théâtre… Don Juan retourna sa veste et abandonna la cause de l’Espagne à qui il devait tout! Reconnaissant Louis XIV pour seul maître, il demanda de cesser toute résistance. Sa famille espagnole le renia aussitôt. Après le traité d’Aix-la-Chapelle, la France se retira (provisoirement) de Franche-Comté et notre abbé dut fuir pour se réfugier en France, où le roi et la cour lui firent un excellent accueil. Brillant causeur, il fut reçu dans tous les salons et c’est là qu’il créa sa propre légende. En 1674, la France réoccupa définitivement la Franche-Comté et Jean retrouva son abbaye de Baume où il finit ses jours le 4 janvier 1702.
Lors de son passage à la cour de France, Jean – probablement un peu mythomane – avait captivé l’attention de ses interlocuteurs avec des contes fabuleux et raconté l’histoire de sa propre vie. Ses propos furent rapportés par Saint-Simon. Ainsi, après ses déboires italiens, le jeune Don Juan se serait enfui en Espagne, tuant un homme en chemin, puis se serait caché dans un couvent féminin. Après avoir séduit une sœur, il se serait échappé avec elle, non sans avoir assassiné le prieur du lieu. Arrivé à Constantinople, Jean se serait converti à l’islam avant de devenir dey de Macédoine! En bisbille avec d’autres deys, notamment à cause d’une femme de son harem, il aurait trahi la Sublime Porte et livré sa province aux Vénitiens, à condition d’être pardonné de toutes ses fautes par le Pape. Assassin, traître, apostat… Pourquoi avoir ainsi déformé la réalité et créé une légende noire autour de son nom? Mystère.

 

Frédéric Schmidt

1) Jean de Watteville (1574-1649).
2) Gérard de Watteville de Joux (1571-1637).
3) Pierre (Don Pedro) de Watteville ou Batteville ( ? -1632).
4) Charles (Don Carlos) de Watteville ou Batteville (1615?- 1670).
5) Jean (Don Juan) de Watteville (1618-1702).
Lire également: «Jean de Watteville, l’abbé aux milles visages», par Françoise Desbiez et Jean-Claude Soum, Editions Cabédita, 2010.