François-Paul Journe et Dominique Gauthier.

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GASTRONOMIE - Chef genevois couronné

Une étoile pour Dominique Gauthier, au F.P. Journe

30 Oct 2024 | Culture, histoire, philosophie

C’est ce que l’on peut appeler une consécration express: moins d’un an après l’ouverture du restaurant F.P. Journe, à la rue du Rhône à Genève, son chef, le célèbre cuisinier Dominique Gauthier, vient de recevoir une étoile au guide Michelin. Rencontre.

Il a déjà un long parcours ponctué de prestigieuses récompenses: élu par le guide Gault et Millau cuisinier romand de l’année en 2005, puis cuisinier suisse de l’année en 2009, Dominique Gauthier a fait pendant plus de vingt ans le bonheur du restaurant Le Chat botté, à l’hôtel Beau-Rivage, à Genève. A 58 ans, il ressentait pourtant l’envie de relever un nouveau défi, d’où sa décision de changer d’auberge, si l’on ose dire, en septembre 2023. Mais pour aller où? Et pour faire quoi de différent?
«Je n’avais pas une idée très claire, explique Dominique Gauthier, j’étais assez ouvert. Je pensais à reprendre un restaurant, c’était assez vague dans ma tête. J’ai eu la chance de rencontrer alors, par un ami commun, le grand horloger François-Paul Journe. On s’est rendu compte qu’on avait le même rêve de créer un restaurant. On a formé tout de suite un binôme dynamique et on a décidé de se lancer!».

Etablissement chargé d’histoire

Le lieu choisi? Un établissement au passé prestigieux, mais à la vie devenue mouvementée et compliquée, comme l’illustrent ses changements de noms successifs. «Le restaurant est un joyau qui fait partie de l’identité de la ville, il est très connu des Genevois. C’était d’abord la brasserie Bavaria, fréquentée dans les années 30 par les diplomates de la Société des Nations. Le restaurant s’est appelé ensuite le Relais de l’entrecôte, puis 49 rue du Rhône, puis Marjolaine… Il était fermé depuis cinq ans et il fallait lui redonner tout son lustre et créer l’atmosphère douce et accueillante que l’on voulait. Nous avons passé six mois en réflexion et en travaux».
Problème: le restaurant a été classé en 2012 et il était impossible de toucher au décor: tout devait être conservé tel quel, dans un strict et obsessionnel respect du passé, aussi bien les grandes boiseries et les hauts plafonds que les tables, les chaises et les miroirs. Artistes l’un et l’autre, l’un en cuisine et l’autre dans son atelier d’horloger, Dominique Gauthier et François-Paul Journe ont pourtant réussi à surfer sur ces interdits et à apporter de petites touches qui renouvellent le lieu, à commencer par de nouveaux plateaux de tables ou une texture des nappes. Ils ont surtout pris une décision audacieuse qui a tout modifié: réduire de moitié le nombre de places, passant de 100 à 50 couverts seulement, ce qui crée un sentiment d’espace et de bien-être.

Scampis en kadaïf.
Ravioles de lièvre à la truffe.

Le charme discret de la haute horlogerie

Seul et unique restaurant à porter le nom d’un maître de la haute horlogerie, le F.P. Journe affiche aussi, sur ses murs, de grands tableaux avec les dessins et les esquisses des modèles imaginés par l’horloger, avec leurs savants mécanismes et leurs subtils composants. Une manière de passer de l’autre côté du miroir et de ressentir la beauté de ces créations d’exception, l’extrême pureté et l’élégance de leurs lignes. Une manière aussi de se laisser aller, un bref instant, au doux sentiment du temps qui passe agréablement, autour d’un bon repas. Autre note horlogère, une armoire présente des pièces originales et des croquis sortis tout droit de l’atelier.
Très heureux de sa première étoile au Michelin, Dominique Gauthier y voit la reconnaissance du travail de toute son équipe, qui compte une quinzaine de personnes. Il y voit aussi un encouragement à poursuivre son objectif quotidien: faire plaisir à ses clients, aussi bien par l’accueil que par la qualité de ses mets. Il a fait le choix d’une carte resserrée qui propose notamment un menu entrée-plat-dessert à 65 francs, qui change toutes les semaines. Les fidèles du Chef, qui le suivent souvent depuis plus de vingt ans, retrouveront évidemment ses plats signatures, par exemple les grenouilles de Vallorbe en tempura, épinard et mousse de lait d’ail; la sole de l’île d’Yeu, artichauts et truffes; le bœuf de Simmental au poivre voatsiperifery (le meilleur du monde dit-on, venant de Madagascar où voatsiperifery veut dire «fruit qui fait disparaître les blessures»), et échalotes grillées…

 

Robert Habel