
culture & nature - Genève investit dans la nature
Un territoire vivant, connecté… et financé
Le canton de Genève accélère son engagement pour la biodiversité. Le Conseil d’Etat a adopté un projet de loi d’investissement ambitieux de 50 millions de francs, destiné à renforcer l’infrastructure écologique sur la période 2025-2029. Soumis prochainement au Grand Conseil, ce crédit vise à soutenir des projets concrets portés tant par les collectivités publiques que par les acteurs privés. L’enjeu? Réparer et reconnecter les milieux naturels, aujourd’hui fragmentés par l’urbanisation, et restaurer des continuités écologiques indispensables à la circulation des espèces. Pour guider ces actions, le Conseil d’Etat a également validé la seconde édition du Plan biodiversité 2025-2030.
La nature genevoise ne se contente pas d’être belle, elle nous rend aussi d’immenses services. Purification de l’air et de l’eau, régulation du climat, limitation des inondations… la biodiversité joue un rôle clef pour notre environnement et notre santé. En ce sens, l’Etat de Genève s’engage à améliorer la qualité des milieux naturels et renforcer les corridors biologiques. La population, trop souvent déconnectée de la nature, s’en trouvera gagnante. «Car même si les mentalités évoluent, la prise de conscience des enjeux et bienfaits de la biodiversité reste insuffisante», insiste le conseiller d’Etat Antonio Hodgers, chargé du département du Territoire.
Un territoire au fort potentiel
A Genève, seuls 30% des 282 km² du canton sont urbanisés. Le reste se partage entre zones agricoles (45%), plans et cours d’eau (13%), et forêts (12%). Un patrimoine écologique précieux, mais fragile. Pour les espèces sauvages, se déplacer est une question de survie: chercher de la nourriture, un abri, un partenaire ou un nouveau territoire. Les plantes, elles, voyagent à travers le vent, l’eau ou les animaux, via pollen et graines. Or, les infrastructures humaines – voies de communication, zones d’habitation, zones industrielles, lignes électriques, agriculture intensive, excès de lumière – constituent autant d’obstacles à la circulation de la faune et à la dissémination des plantes.
Le projet de loi permet d’agir sur l’infrastructure écologique, soit l’ossature territoriale qui regroupe et connecte les zones les plus favorables à la vitalité de nos espaces (sites naturels, milieux agricoles, relais de nature en ville, etc.). Afin d’encourager le passage à l’action en faveur de ce réseau de vie, le projet prévoit un investissement de 50 millions de francs sur cinq ans. Ce financement doit soutenir la concrétisation de projets ciblés, issus de collectivités publiques ou de particuliers. «Il est important de couvrir l’ensemble du territoire, qu’il s’agisse de la mobilité du cerf, du hérisson, des chauves-souris ou du castor, voire même la flore. Car chaque espèce a des besoins spécifiques en termes de connectivité et d’habitat», explique un collaborateur du département du Territoire.
Les projets soutenus par le futur investissement cantonal se traduiront par des gestes concrets et efficaces. Parmi eux, le remplacement des haies de laurelles, une espèce exotique envahissante, par des haies composées d’essences locales favorables à la biodiversité. Autres initiatives envisagées: la végétalisation de toitures, la création ou la restauration d’étangs, ou encore l’aménagement de passages pour la faune. Le plan prévoit aussi d’agir sur la pollution lumineuse, en adaptant ou supprimant certains éclairages afin de restaurer la trame noire – un environnement nocturne essentiel à la faune, à la flore… et à notre sommeil. Parmi les interventions plus discrètes mais tout aussi cruciales figure la modification des bouches d’évacuation d’eau, qui piègent chaque année de nombreux petits animaux. Un panel de mesures qui feront la différence pour la vie sauvage.
Un projet qui couvre l’ensemble du territoire, de la mobilité du cerf à la quiétude du castor.
Le vivant est essentiel à notre qualité de vie
Pour fixer les actions prioritaires dans ce domaine, le Conseil d’Etat a récemment adopté le Plan biodiversité 2025-2030 (PB2). Ce plan, qui s’inscrit dans le cadre de la Stratégie biodiversité 2030, a pour objectif de faire du vivant un pilier central de l’aménagement, de l’économie et de la culture genevois d’ici 2030. Le document définit dix-huit mesures articulées autour de trois axes stratégiques: revitaliser l’infrastructure écologique (objet du projet de loi), faire évoluer les politiques publiques et les pratiques économiques pour mieux prendre en compte les enjeux de biodiversité, et renforcer la sensibilisation et la mobilisation citoyenne.
L’un des points forts de cette stratégie est la reconnaissance des services écosystémiques rendus par la biodiversité aux activités humaines: «La biodiversité, souvent perçue comme un simple inventaire d’espèces et de milieux naturels, représente bien plus que cela: elle constitue le tissu vivant sur lequel reposent nos écosystèmes, nos sociétés et nos économies», lit-on dans le document. L’agriculture (fertilité de nos sols et pollinisation qui découlent de la biodiversité), la santé (pureté de l’eau et de l’air), nos loisirs, tous ces domaines reposent sur la santé de nos écosystèmes. Par ailleurs, plus de 50% du PIB mondial dépend des ressources et processus naturels comme la pollinisation (source: Banque Mondiale). L’objectif est de faire comprendre le sens, l’urgence et la nécessité d’actions concrètes à tous les niveaux, tant au sein des administrations que des acteurs du privé, en privilégiant une approche transversale et multiscalaire.
Biodiversité, un engagement
cantonal de longue haleine
Le Plan biodiversité, adopté mi-avril, s’inscrit dans la continuité du premier Plan lancé en 2020 (PB1), à l’origine d’une impulsion majeure qui a déjà permis de faire aboutir de nombreuses actions sur le terrain. Parmi les réalisations notables, citons la construction de dix-sept passages à faune sur la route de Monniaz à Jussy, rétablissant un corridor important pour les batraciens, ou la création de deux roselières au quai de Cologny. Autres actions phares: 184 communes, de part et d’autre de la frontière, ont participé à la quatrième édition de «La nuit est belle!» en 2023. Enfin, de nombreux acteurs ont été formés à la gestion différenciée des espaces verts. Toutefois, les pressions sur la biodiversité demeurent fortes et leurs sources restent multiples, entraînant l’artificialisation et la fragmentation des milieux naturels et mettant à mal les services que nous rend la nature.
Avec ce projet de loi ambitieux et la nouvelle feuille de route du Plan biodiversité 2025-2030, Genève pose les bases d’une écologie territoriale à la fois pragmatique, systémique et ancrée dans le réel. C’est un pari sur le long terme, qui dépasse la simple protection de la nature pour réaffirmer une conviction forte: un territoire vivant et connecté est aussi un territoire plus sain, plus agréable à vivre et mieux préparé aux défis à venir.