Le musée Bally nous fait un pied de nez…

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hors champ

Un Premier Mai de toutes les couleurs

17 Mai 2023 | Culture, histoire, philosophie

Mais où était donc ce jour-là le public des «animations» culturelles, scientifiques, naturelles? Tous à la manif du Premier Mai, ou sur la trace du Président du Botswana? En tout cas au début du mois, votre Tintin parti outre-Sarine a eu trois «centres» pour lui tout seul: celui de la ville de Saint-Ursanne, celui des écrivains de Herzogenbuchsee, celui de l’institut de recherche Paul Scherrer. Et il y a pris la mesure du fossé culturel entre les deux parties de notre pays.

Le Premier Mai n’est pas férié partout en Suisse, ce qui laisse des portes ouvertes à qui voyage entre le 29 avril et le 1er mai. Cela faisait cinq ans que je pensais aller un jour sur les traces de l’auteur Lina Bögli et de l’actrice Rachel Félix, ainsi qu’à l’antre aux bouquins d’Aarau: on verra plus loin les raisons de ce choix. C’était même devenu une blague entre amis ou au bureau: «Alors, ce pèlerinage, on le fait quand?»; une amie me prit au mot: «Le week-end du Premier Mai!»; et en fin de compte nous sommes parti(e)s à trois. En mettant au point cette sortie, d’autres buts de voyage se sont montrés en ligne: un centre de pédagogie scientifique à l’Institut Paul Scherrer, un Musée de l’enfance à Baden, des lieux de mémoire juive à Lengnau… et une halte imprévue nous a montré une face cachée d’Olten.

Olten n’est pas une ville musée

Ce n’est pas sans raison qu’Olten fut un fief rouge avant de devenir celui du noir et blanc; mais l’oubli de ce glorieux passé touche aussi les Alémaniques. Dans l’escalier d’un musée qui traite ce mois-ci de mode, une jeune femme à la tenue simple lit avec soin l’histoire de la photo racontée sur les murs. «Qu’est-ce qui vous a poussée à venir voir cette expo?». Sa réponse fut celle que notre groupe eût pu donner: «Le hasard! Je vis à Zurich… j’ai un job dans les services… et en voyant du train le quai d’Olten, je me suis dit que j’y étais déjà passée cent fois sans m’arrêter: alors comme ce jour j’ai un peu de temps… je suis sortie du train». Même notre grand critique Etienne Dumont ne tarit pas d’éloges sur de petits musées alémaniques qui – selon lui – battent de loin les grands musées de chez nous. Pas la Hammer Brocki, certes, même si cette brocante est un musée en soi; mais on serait curieux de savoir ce qu’il pense du musée de la photo d’Olten. Dans une maison juste à côté, trois autres musées… un par étage; pour le ou la novice, c’est l’étage sur l’histoire de l’industrie qui livre le plus de clefs.

Le chat est-il anar ou tsariste?

Nœud ferroviaire, Olten a attiré de grands noms de l’industrie suisse et mondiale, depuis les savons Sunlight de Lever jusqu’aux chaussures Bally dont le musée à Schönenwerd est hélas fermé jusqu’à nouvel avis. Le Syndicat des transports indique sur son site tout un circuit urbain lié au rail (sev-online.ch/fr/aktuell/kontakt.sev/2015/une-nouvelle-vie-pour-olten-ville-des-cheminots-2015110304-1/). Un Comité d’Olten a joué un rôle central pendant la grande grève de 1919 (chaque côté blâmant l’autre pour le sang versé). Anecdote: si – plus haut – on a fait un clin d’œil au noir et blanc, c’est qu’un chat à deux tons a été nomme «le Roi d’Olten», tant il allait dans la ville à sa guise. Mais ce qui nous a le plus surpris, ce fut le «Sentiers des écrivains» derrière le Quai Cornichon (oltentourismus.ch/de/nous-parlons-aussi-francais/visite-guidée-publique-gorge-du-diable/sentier-des-ecrivains-suisses ou myswitzerland.com/fr-ch/decouvrir/sentier-suisse-des-ecrivains-a-olten/), qui nous a consolés de n’avoir pu faire un saut en chemin à Lützelflüh pour saluer Jeremias Gotthelf: quelle que soit la couleur et la classe, des gens du passé ont eu des choses à dire à ceux de l’avenir.

Une pionnière plutôt rétro

C’est bien ce qui fut le déclic du pèlerinage sur les traces de Lina Bögli: son livre «En avant!» (acheté un jour aux puces) m’a ouvert les yeux sur une femme à la fois en et hors normes, qui a pensé que voyager seule n’était pas un privilège d’homme. Munie d’un brevet d’instit’ (passé à l’issue d’emplois de bonne d’enfants), elle sut trouver un job à chaque escale. Un fan de l’auteur tient la table à l’entrée du petit musée (lina-boegli.ch); il est si accro à Lina qu’il m’a rempli la tête de moult détails: Lina est rentrée au bout de dix ans jour pour jour pour dire adieu à un officier polonais qui lui avait demandé sa main. Le titre du livre – traduit en plusieurs langues – a joué à cache-cache avec celui de journaux de gauche comme «Vorwärts». Lina Bögli était certes pionnière, mais trop «classe» pour se joindre aux féministes. C’est plus un milieu qu’un parti qu’on hume dans ce petit «centre» sis au dernier étage d’une maison communale de Haute-Argovie: un réseau qui a aussi donné son nom à une autre route lettrée tout près de là: le «Amiet und Hesse Weg» (pas Hermann mais son fils). Nous étions seuls visiteurs en cette veille du Premier Mai, et notre venue a causé tant d’émoi qu’une petite nièce de Lina en aura une photo. Par contre, nous n’avons pas eu le temps d’aller saluer Rachel Félix, plus loin à Mumpf. Mais sa bio (voir Wikipedia), ainsi que celle de son émule Sarah Bernhardt, est une source de surprise à chaque ligne, avec pas mal de cœur et d’esprit qui ont su se glisser entre la scène et le sexe.

Le boson ne doit pas doubler
le neutron

L’Institut Paul Scherrer à Villigen – près de l’infâme Würenlingen où sommeillent des déchets nucléaires – est un nom connu des milieux scientifiques fédéraux (psi.ch). Il nous a fait de l’œil à deux arrêts de bus de notre hôtel et nous sommes allé(e)s le voir pour saisir enfin les tenants et aboutissants de ce centre de recherche. Du moins, un jeune physicien argentin rencontré à l’arrêt de bus nous a convaincus que seules Villigen et Grenoble en Europe donnaient leur juste place aux neutrons, sa spécialité. Un dimanche, seul le petit musée est ouvert, pour donner aux neutrons, au quantique et à la physique un visage sympathique (avec même un film en relief qui montre des petits Martiens emporter tout l’Institut dans leur astronef); sous-entendu de ce genre de comm’: la recherche doit être soutenue. En semaine, il y a des activités pour enfants et des visites pour adultes jusqu’aux labos des chercheurs; mais un jour semi-férié, tout reposait sur le surveillant… dont l’enthousiasme fut communicatif. On verra cette année ce que donnera à Genève l’ouverture de l’espace pédagogique du Cern, mais celui de Villigen est modeste au meilleur sens du terme. Certes, Paul Scherrer n’a pas eu la gloire d’Albert Einstein qui fait encore celle de Baden pas bien loin… mais il mérite d’avoir un institut à son nom.

L’esprit du lieu au fond d’une grotte

Pas question, de toute façon, de rentrer à Genève sans avoir fait un autre pèlerinage: outre-Sarine existe une brocante spéciale pour les livres (buecher-brocky.ch, avec antres à Bâle, Zurich, Berne, Lucerne et Aarau). C’est un contrôleur dans un train – ancien libraire reconverti – qui m’a signalé le magasin d’Aarau comme un des meilleurs. Passer une ou deux heures dans une telle grotte, c’est un voyage dans le temps et dans les langues. J’y ai par exemple trouvé un livre de Walter Boveri, qui exprime bien les tensions entre la modernité et le mysticisme au XIXe siècle. Hélas! la compagnie Brown Boveri n’a pas de musée à Baden; juste une jolie villa dans un beau parc qui jouxte de Musée de l’enfance: les jouets entassés sur cinq niveaux sont une leçon d’histoire, où l’esprit de Froebel n’est pas enterré comme en Romandie. A Baden aussi se trouve une Villa Paul dans une zone jadis d’industrie derrière la gare, mais désormais vouée à la mystique écologique, comme hors de ville la maison d’Emma Kunz (voir aussi flusshaus.ch). Bref, l’Argovie, même si on s’en tient à la Haute-Argovie, est pleine de ressources, de festivals, de randonnées: mieux vaut lire les sites d’infos à l’avance.

Ursanne fut grand voyageur

Au début, on a parlé de Saint-Ursanne et même du Botswana: le Président de ce pays était en visite en Suisse ce week-end-là, et a même tiré la barbiche à des chèvres à Herisau, après avoir fait de même avec nos ministres à Berne et avec la patronne de l’Organisation mondiale du commerce à Genève. C’était tentant pour un journaliste de s’y joindre, d’autant que la page eda.admin.ch/eda/de/home/vertretungen-und-reisehinweise/botsuana/bilatereale-beziehungenschweizbotsuana.html# est déroutante, c’est le mot: en bas de page, les «links» pour en savoir plus sont traduits par «gauches», et entre l’anglais «Botswana» et l’allemand «Botsuana», le français ne sait pas sur quel pied danser. Pour le reste, le voyage a été décrit aux médias comme Boris Vian parlait du Roi de Zanzibar, alors nous sommes allé(e)s plutôt tirer la barbiche aux truites du Doubs à Saint-Ursanne avant de rentrer au bout du Léman. On les a vues pêchées, mais le chef du Centre de vacances derrière la Maison du tourisme les poêle si bien qu’on a rentré nos larmes.

Dernier mot sans point final

C’est de retour à Genève que – à une causerie (motsartsgeneve.wixsite.com/espace) – j’ai saisi les pièges du tourisme, même culturel: «Le Groupe d’Olten? Une clique littéraire!», s’est exclamé un adepte des «inclassables» comme Ludwig Hohl à l’honneur ce jour-là chez «Mots Arts».

 

Boris Engelson