CULTURE - Mélanie Croubalian, lauréate du Prix littéraire SPG
Un parfum d’Arménie
L’histoire bouleversante de Nayef, un jeune Syrien de 20 ans, qui fuit son pays en guerre et découvre avant de partir un carnet manuscrit avec un seul mot mystérieux: Azad. C’est le thème du roman de la journaliste Mélanie Croubalian qui a remporté le Prix littéraire SPG, fondé il y a dix ans par le dirigeant de la société, Thierry Barbier-Mueller, brusquement décédé en janvier dernier.
Il avait repris la société immobilière créée par son père, la SPG, et il était devenu l’un des grands hommes d’affaires qui comptent en Suisse romande, mais il avait conservé et n’avait cessé de cultiver un goût pour les mots, les livres, les récits de toute sorte, les débats d’idées, la culture au sens large. Une sorte de jardin secret qui n’avait rien de secret, car tout le monde savait bien qu’il préférait qu’on lui parle de littérature plutôt que de tableaux Excel, qu’il dirigeait et animait les trois magazines édités par la SPG, L’Information immobilière, Immorama et LVX.
Décédé en janvier dernier à 62 ans, Thierry Barbier-Mueller avait créé, il y a tout juste dix ans, le Prix littéraire SPG décerné au premier roman d’un auteur romand, publié chez un éditeur romand. Une manière d’encourager de jeunes écrivains et de promouvoir la vie intellectuelle et artistique en Suisse romande. C’est l’une de ses cinq filles, Sophie, qui a annoncé jeudi soir, lors d’une soirée sympathique et joyeuse à la maison Jean-Jacques Rousseau, au cœur de la Vieille-Ville à Genève, que le dixième Prix littéraire SPG avait été décerné cette année à la journaliste et animatrice radio Mélanie Croubalian pour son livre Azad (Editions Slatkine).
Nayef, avoir 20 ans en Syrie
Un roman, donc une œuvre de fiction, qui s’inscrit pourtant dans la réalité politique la plus profonde et la plus actuelle. Avec Azad, Mélanie Croubalian emporte le lecteur dans le dangereux périple de Nayef, un jeune Syrien de 20 ans qui fuit son pays en guerre pour tenter de sauver sa peau. Juste avant de quitter sa ville d’Alep avec l’idée de se réfugier en France, à Calais, Nayef découvre un carnet manuscrit avec un seul mot sur la couverture: Azad. Quel est le sens de ce mot mystérieux? Que cache-t-il et que peut-il révéler?
Emue et très touchée, Mélanie Croubalian a expliqué que son récit était né d’une rencontre imaginaire entre deux événements qui, a priori, n’avaient rien en commun. D’un côté la crise migratoire qui a abouti en 2015 à l’entrée en Allemagne de plus d’un million de migrants, dont une bonne partie, un quart peut-être, de Syriens; d’autre part le souvenir familial enfoui et étouffé, imprécis et mythique, d’un ancêtre qui aurait réussi à quitter Alep à cheval pour aller chercher en Arménie et ramener à Alep sa famille lors du génocide arménien. Un acte de résistance et de courage! Un message de foi, surtout, face au déchaînement de la violence. Azad, ce mot mystère, veut dire libre en arménien et Mélanie Croubalian précise que c’est le nom de son fils, présent dans la salle. Difficile de ne pas ressentir de l’émotion, surtout au moment où l’Azerbaïdjan vient de mettre la main sur le Nargorny-Karabakh, peuplé à 95% d’Arméniens, chassant ces derniers de leur terre ancestrale parsemée de monastères et d’églises chrétiennes.
Très sensible à ce contexte historique à la fois dur et compliqué, le jury dit avoir «particulièrement apprécié l’originalité de la construction du roman, double récit mené rigoureusement, à la fois documenté et émouvant, qui relie avec finesse l’actualité brûlante et des remous géopolitiques plus anciens. Mélanie Croubalian mène ainsi avec aisance les thèmes de la migration, du déracinement, de la quête de ses origines et de l’histoire moderne et tragique de l’Arménie».
Après dix ans de succès, le prix littéraire SPG se réinventera l’année prochaine. Ce ne sera plus un romancier, mais trois étudiants qui seront récompensés chaque année pour leur travail de Maturité.