culture & nature - Cent cinquantième anniversaire de Colette
Tout feu, tout femme!
L’an 2023 est marqué littérairement par Colette, née Sidonie-Gabrielle Colette le 28 janvier 1873. La première femme à avoir bénéficié de l’honneur républicain de funérailles nationales en 1954 est toujours lue par les jeunes générations, notamment dans la série des «Claudine», et grâce à sa vie de femme libérée et parfois scandaleuse, qui en a fait un personnage moderne et précurseur d’une forme de féminisme. Plusieurs publications et une exposition en début d’année à la Fondation Jan Michalski à Montricher/VD lui ont rendu hommage. Portrait de celle qui nous donne pour l’éternité une leçon de liberté.
Colette ne faisait pas partie des auteurs cités par Annie Ernaux lors de son discours de réception du Prix Nobel de littérature le 10 décembre 2022. La militante des «Années», son meilleur livre, lui a préféré Flaubert, Proust et Virginia Woolf. Est-ce à dire que Colette, malgré sa vie de femme libre et aussi libérée de la tutelle masculine n’est pas considérée comme un précurseur du féminisme? Jamais militante d’aucune cause, Colette a néanmoins mené une vie qui s’impose comme un modèle libérateur pour les femmes.
Frédéric Maget, professeur de littérature et président de la Société des amis de Colette, rappelle dans une récente livraison de la «Revue des Deux Mondes», qu’elle est l’auteur le plus cité par Simone de Beauvoir dans «Le Deuxième Sexe» et que ses textes journalistiques évoquent dès les années vingt et trente les violences faites aux femmes et aux enfants. Le professeur bâlois Robert Kopp souligne quant à lui, dans l’excellent et complet numéro anniversaire du magazine littéraire «Lire», qu’il y a «d’autres manières de soutenir la cause des femmes: par l’exemple d’une vie libre, faisant fi des conventions, par les images de femmes exceptionnelles dans son œuvre». Le personnage de Sido est ainsi, selon Robert Kopp, un modèle en tout.
Des héroïnes libres et scandaleuses
Quelles sont en effet les héroïnes romanesques de Colette? Frédéric Maget: «Des femmes le plus souvent seules, ce qui à l’époque est un signe d’ostracisation et de marginalisation: la femme seule, c’est plus ou moins la veuve ou la prostituée. Une femme qui subvient à ses propres besoins est l’objet de tous les fantasmes. C’est le propos de «La Vagabonde»: une femme autonome qui ne veut plus du mariage, défini comme un «asservissement conjugal». Colette met également en scène des femmes vieillissantes: elle invente littérairement la femme de 40 ou 50 ans qui accepte d’affronter les signes de l’âge sans renoncer à vivre, à aimer et à désirer (…). Colette n’a sacrifié aucune forme de plaisir. C’est un autre côté révolutionnaire qui entre en écho avec notre époque». D’abord lue par les femmes, Colette demeure l’auteur qu’on se passe de mère en fille, de grand-mère en petite-fille. On venait chercher et on vient encore chercher probablement chez Colette les réponses qu’on ne trouvait pas forcément chez soi ou à l’école.
Les sources d’une vocation
A l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Colette, la Fondation Jan Michalski à Montricher a présenté une exposition réunissant près de 250 documents – éditions originales, photographies, lettres, manuscrits, objets –, rarement ou jamais montrés au public et dont le commissaire invité était Frédéric Maget. Elle a eu un grand succès et s’est close en avril. Un parcours original qui témoigne de mille éclosions d’une femme écrivain au travail, consciente de son talent et de sa notoriété, imposant à la force de sa plume un nom devenu un emblème. Mais comment devient-on Colette? En posant cette question, l’exposition a permis de revenir aux sources d’une vocation qui refusa de dire son nom, évoquer les obstacles familiaux, sociaux et personnels qu’il fallut surmonter, et toutes les conquêtes que Colette sut faire, en pionnière, en un demi-siècle de création. Car l’écriture fut pour elle le lieu et l’instrument de son émancipation, une façon d’explorer les possibles, de s’affranchir des genres littéraires et sexuels, et d’inventer un alphabet nouveau».
Frédéric Maget indique «qu’on sent bien que l’œuvre de Colette est entrée dans une phase de patrimonialisation. Sa présence au programme du baccalauréat cette année et l’engouement des élèves prouvent que ses livres rejoignent les préoccupations des nouvelles générations – celles-ci découvrent au passage une langue singulière, très charnelle et provocatrice». A la fois provocatrice, classique et libre, Colette est définitivement géniale.