Le «Rhône», un des fleurons de la flotte «Belle-Epoque» de la CGN.

/

Restauration exemplaire

Résurrection de l’iconique bateau «Rhône»

14 Sep 2022 | Culture, histoire, philosophie

Bientôt centenaire, le patrimonial bateau-salon vapeur à roues à aubes de la Compagnie générale de navigation sur le Léman (CGN) n’a pas seulement été restauré, il est plus proche que jamais de son état d’origine, grâce aux savoir-faire pointus européen et
suisse romand.

Hier encore, sa silhouette d’origine était floutée, résultat de la dernière rénovation de 1969. Sorti du bassin de radoub de la CGN à Ouchy après trois ans de travaux, le navire qui vogue à nouveau sur le lac depuis février dernier exhibe son historique élégance. Même l’ornement de proue en bronze, perdu par l’embarcation lors d’une collision peu après sa mise en service en 1927, arbore la tête allégorique du dieu Rhône, moulée à l’identique. Les meilleurs spécialistes locaux et européens ont œuvré à la restauration profonde et fine de ce vénérable bâtiment, classé comme bien culturel d’importance nationale.

Le charme d’antan en toutes
saisons

Dernier bateau-salon à vapeur à aubes entièrement construit par Sulzer à Winterthour, le «Rhône» fut alors ce qui se faisait de mieux dans l’industrie suisse, avec sa machine à vapeur unique à commande hydraulique des soupapes et graissage automatique sous pression. Un fleuron qu’il s’est agi de réviser dans les règles de l’art. Supervisés par le Conservateur cantonal des monuments et sites, alimentés par les archives du Musée du Léman de Nyon et de l’Association Patrimoine du Léman, les travaux n’ont pas lésiné sur les efforts pour sauvegarder l’icône de 68 mètres de long. Plus de 80% de la coque a été conservée, les boiseries et les marqueteries du salon Belle-Epoque ont été restaurées, tandis que son accès central a été reconstruit selon les plans d’origine, à l’instar de l’escalier à l’avant du bateau et des deux salons, appelés fumoirs, du pont supérieur.
Tout le contraire d’une embarcation muséifiée, le bateau désarmé durant la Seconde
Guerre mondiale est désormais plus vivant que jamais pour les quelque 600 visiteurs qu’il peut accueillir à son bord. Avec son pont isolé par des vitrages coulissants et son chauffage par pompe à chaleur, il est devenu le premier vapeur de la flotte CGN à pouvoir être exploité en toutes saisons. «Avec le «Rhône », la CGN retrouve la flotte de sept bateaux à vapeur avec roues à aubes en état de marche», indiquait fièrement son président, Benoît Gaillard, lors de sa remise à l’eau.

Le Salon Belle-Epoque où se sont affairés les ébénistes vaudois et la Maison rolloise Charles-Emile Moinat.

Savoir-faire locaux

Au-delà des aspects patrimoniaux, le «Rhône» a bénéficié d’autres améliorations techniques significatives, tels une nouvelle chaudière de 32 tonnes plus économique, des ponts multicouches novateurs recouverts de bois massif, un propulseur d’étrave assurant une réduction importante des vibrations. Quant à la cheminée réalisée en alu, comme les nouveaux tambours de roues, elle participe à l’allègement du navire, qui a perdu 15 tonnes sur 360 dans l’aventure. Autant de solutions au nom du respect environnemental, de l’efficacité et du confort.
Parmi les quelque soixante entreprises et deux cents ouvriers d’Autriche, d’Italie, de France et d’Espagne qui ont apporté leurs compétences pointues à cette rénovation ambitieuse, on compte une belle brochette de spécialistes romands, tel Décision SA, fabricant et installateur de la toiture supérieure en composite de 250 m2, ou le consortium de quatre entreprises vaudoises – Ebénisterie Maurice Jacques Sarl, Ballenegger SA, Claude Murisier, J. Bodenmann SA – chargés des travaux d’ébénisterie et de menuiserie. Le rafraîchissement du mobilier du Salon Belle-Epoque a été confié à la Maison Moinat, ensemblier-décorateur à Rolle. Une institution, détentrice d’un savoir-faire centenaire dans ce marché de niche et dont les prestations à la carte se sont étendues, en 2015, avec la reprise de l’atelier de confection lausannois Guggisberg.
Réplique du tissu original, l’ancien velours gaufré artisanal qui habille de jaune les sièges a été a été soigneusement nettoyé, tout comme le tapis de sol de grande tradition. Fait main, le rembourrage à neuf des banquettes élégamment incurvées a été réalisé de façon traditionnelle, en crin de cheval, crin végétal et jute, matériaux qui assurent confort et résistance. «Un travail minutieux offert à notre sens artistique et à l’émotion», déclare Gérard Moinat, heureux d’avoir pu contribuer à la sauvegarde historique du bâtiment.
Le coût de la rénovation se monte à près de 16 millions de francs, financés pour l’essentiel par les cantons de Vaud, de Genève et du Valais, ainsi que par la Confédération et l’Association des amis des bateaux à vapeur du Léman (ABVL). Après le «Rhône», l’«Helvétie» et le «Simplon», deux fleurons de la flotte Belle-Epoque de la CGN devraient être restaurés ces prochaines années.
Ici, Dieu gît dans la beauté de l’authenticité et des détails. Un chantier exemplaire. Ne reste plus qu’à répondre à l’appel de l’originel sifflet à trois notes du «Rhône», remis en fonction en 2013, à s’installer pour jouir du paysage, tout en découvrant les roues à aubes et la timonerie à travers de nouveaux hublots, sans oublier la machinerie sous ses capots transparents.

 

Viviane Scaramiglia