Pacotille fut une vraie victime, mais les modernes amis des victimes sont souvent de pacotille.

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hors champ

Qu’est-ce que le travail et un contrat… social?

5 Avr 2023 | Culture, histoire, philosophie

«Ça vous surprend qu’on soit tous à tu et à toi? Normal: depuis le temps que nous travaillons ensemble!». Pour eux, ça coule de source… mais est-ce bien normal qu’à une rencontre aussi publique les relations soient à ce point privées? On verra plus loin de quelle rencontre, de quel travail et de quel ensemble il s’agissait: comme souvent dans ces pages, on se livre ici juste à une étude de cas. Car de cas en cas se profile un «contrat» léonin que les milieux «sociaux» détenteurs du capital «intello» veulent imposer à la République.

Du Concile de Nicée à Me Too ou Black Lives Matter (et hormis du temps des Borgia face à Luther), tout ce qui se parait de «social», de «cœur», d’«esprit», et donc de «charité», de «justice», de «solidarité» et plus tard, de «culture», de «liberté», d’«égalité», de «science»… était pris pour argent comptant. Ainsi à Genève pendant des années, la «Semaine contre le racisme» ou celle «de la démocratie» n’avait pas besoin de guillemets, tant elle était au-dessus de tout soupçon. Et l’égaré qui – dans la salle – n’était pas à tu et à toi avec les orateurs du podium et leur public de même couleur se sentait bien seul. D’autant que le prêt-à-penser officiel se retrouvait en copié-collé dans les Hautes écoles et les Maisons de quartier, à la Ligue (…) contre le racisme et au Festival (…) droits humains, aux ballades de Pro Vélo et à La Comédie… sans oublier le Conseil (…) des Eglises et les banquiers de Building Bridges.

Palexpo, cité du refuge

Mais cette année – ô surprise! – on a assisté au choc des cultures entre les Bibliothèques municipales et le… Salon du livre. Double mystère: comment le marché du livre – «un panier de crabes» aux dires mêmes des libraires de ce Salon parrainé depuis un tiers de siècle par le gratin culturel et politique, se retrouve-t-il (en fin de compte) havre de la pensée critique face aux récitatifs officiels? Et comment le stand où, année après année, on prêchait plus qu’on lisait – le carré de la Cicad (Coordination contre l’antisémitisme) – a-t-il osé cette fois défier l’antiracisme d’apparat? Une chose est sûre: les «experts» que la Ville sort de son chapeau depuis des lustres à chaque «débat» – comme celui évoqué plus haut et analysé plus bas – ne font pas le poids face aux maîtres des quatre vents qu’on a entendus ces jours derniers à Palexpo. Retour sur les forfaits de la Ville, puis résumé des exploits du Salon…

L’amour des uns censure-t-il des autres?

L’Agenda 21 (cellule «durable» de la Ville mais qui concocte aussi toutes les «Semaine», «Journée», «Quinzaine» d’éveil de l’âme, souvent aidée de la Plate-forme interreligieuse, des Hautes écoles, de Filmar ou d’Alternatiba et consorts) sera-t-il un jour au banc des accusés à La Haye? C’est peu probable, mais face au Tribunal de l’Histoire, sa cause sera moins facile à défendre. Un cas sur cent: le premier «événement» de la Semaine contre le racisme (non-au-racisme-geneve.ch) fut très habilement maquillé en vernissage artistique. Mais au fil de la soirée, la rhétorique de «l’islamophobie» se faisait entendre de manière insistante. Là aussi – et surtout après la tuerie dans une mosquée des rives du Pacifique qui a choqué la Plate-forme plus que l’attaque contre Salman Rushdie – cela sent bon la solidarité. Mais divers débats – au même moment au Palais des Nations – ont conclu que la Journée (mondiale) contre l’islamophobie était surtout un Cheval de Troie de certains Etats voyous. Pis: pourquoi une experte de l’autre bord – comme l’Alémanique Saïda Keller-Messahli – n’a-t-elle comme relais en Romandie que Mireille Vallette et Jonas Follonier? Et qui donc peut parler pour les laïcs nés dans l’Islam, comme cet écrivain vu au Salon et candidat au Grand Conseil, d’un parti trop libéral pour ceux d’Eynard? Assez pour le premier exploit de la Semaine…

Le racisme a-t-il une couleur ?

Passons au second, lui aussi bien masqué d’égalité et de fraternité, mais peu à peu marqué par l’esprit de clan. A la fin, autour d’un pot, le mur invisible entre le «public» égaré et «l’entre-nous» compact se touchait du doigt: la phrase citée tout au début de cet article en témoigne. Bref, à première vue (ou à première ouïe), cela semblait une si bonne cause, cette soirée «contre les discriminations raciales en milieu professionnel»! Et c’est vrai que les discours acérés des «coaches» et autre «influenceuses» au podium donnaient des armes aux «victimes» présentes à la Bibliothèque de la Cité. L’ennui, c’est que l’annonce de la soirée ne disait pas que ce serait un pur combat d’Afro-descendant(e)s contre les Blancs… sans Philippines ni Kosovars… encore moins Russes, Serbes ou Tamils (par exemple). Or, malgré des mains tendues aux Visages Pâles sur un ton parfois amusant, trois quarts du panel et du public étaient «Noirs» et les rares Blancs étaient les agents de la Ville «à tu et à toi». Si imbus de leur noble mission qu’ils toisaient l’intrus… mais le ton de pion est – à la Ville et dans ses Biblis – une seconde nature.

Les Verts sont dans le Noir

Mais là n’est pas l’essentiel: les experts entendus à Palexpo – d’un calibre ayant tout de même deux ou trois zéros de plus que les jeunes Croisés de la Cité – ont pendant deux jours damé le pion, le fou et le roi à nos édiles qui disent dans le «Courrier» que «la cancel culture n’existe pas». On devrait dire qu’elle n’existe «plus», car elle a fait le vide autour d’elle pour triompher sans gloire. A preuve, les Yana Grinshpun, Philippe Forest, Jean-François Braunstein, Rachel Kahn ne sont (sauf erreur) jamais conviés aux débats de l’Uni de Genève, de la Ville et encore moins de la Licra. Le podium de la Cicad n’était pas le seul a avoir libéré sa parole et celui du Livre africain n’a jamais eu sa langue dans sa poche; un peu plus chaque année, on s’y méfie de l’engagement de commande: des Africains d’ici ou d’ailleurs y démentent souvent la solidarité de pacotille de leurs «amis» des bonnes causes. Et hors Salon et Agenda mais bien à Genève, c’est l’Université populaire africaine (upaf.ch) qui brise le plus de tabous, en particulier à ses «soirées électorales» (malgré un zeste de clanisme): il fallait y entendre à mi-mars une candidate «Noire» du parti… populiste, seule à ne pas parler la langue de bois dans cette Maison des associations.

Les vertus de la paresse

Mais on n’a pas encore répondu à une des questions de départ: comment le Salon et la Cicad d’ordinaire si «officiels» se sont-ils retrouvés au front de la libre parole (et mieux: de la libre pensée)? Il se peut que – pour la Cicad – les pulsions pogromistes des «woke» l’aient réveillée; mais pour le Salon, le miracle est fruit de la paresse: «Comment mes écrits passent-ils la barrière d’un monde de l’édition formaté à l’extrême? La réponse est simple: mes éditeurs n’ont pas le temps de lire mes textes!», déclarait un auteur métisse.

Qui «fait la claque» aime-t-il cogner?

Retour au «show» parrainé par Alfonso Gomez – «en charge de l’égalité et de la diversité» – à la Cité: certes, les Dieudonnées du podium – qui veulent «tout, tout de suite» – ne manquaient pas de «punch» (voir p. ex. rezalliance.com), et à un débat contradictoire, le contradicteur n’aurait pas la tâche facile. Mais c’est là que le bât blesse: chez les militants tout à leur «rapport de force», on égale souvent l’éthique et la boxe. Et surtout, la nouvelle génération «engagée» confond droits, justice et… narcissisme, qui rime avec despotisme: dans les milieux de «progrès», on parle sans cesse du «contrat social», mais les «asociaux» se méfient de qui écrit et colle les étiquettes sans répartie.

 

Boris Engelson