cuture & nature - Gastronomie
Que mangeait-on dans les restaurants il y a 200 ans?
Ce qui frappe lorsque l’on regarde les cartes des restaurants huppés des années 1800-1850, c’est le nombre de mets proposés. Souvent plus de cent! Ensuite, la liste des menus peut déconcerter: les entrées – qui sont en fait des plats à part entière – et des entremets mélangeant les desserts avec les légumes ou des omelettes au jambon…
Bien que notre propos ne soit pas de retracer l’histoire des restaurants, quelques précisions sont nécessaires. La plupart des historiens s’accordent à dire que le restaurant tel qu’on l’entend aujourd’hui, c’est à dire un endroit avec des tables individuelles, une carte de mets au choix avec les prix, aurait vu le jour à Paris vers 1765. Le mot vient du fait que l’on servait dans certains d’entre eux des «bouillons restaurants» c’est-à-dire nourrissants.
Le nombre de ces établissements augmenta considérablement pendant et après la Révolution française de 1789. En effet, de nombreux cuisiniers et maîtres d’hôtel de maisons princières ou royales se retrouvèrent sans emploi. On peut citer Beauvilliers, ancien officier de bouche du comte de Provence (futur Louis XVIII) qui tenait l’un des restaurants les plus réputés de Paris, ou Méot, qui occupait la même charge auprès du duc d’Orléans. L’établissement de ce dernier était connu non seulement pour sa cuisine, mais aussi pour ses petits salons particuliers. Robespierre et Danton furent ses clients.
De 300 restaurants à Paris en 1804, on passa à près de 2000 en 1834 (sans compter les cafetiers-limonadiers qui proposaient également de la nourriture). A cette époque, on commençait à en trouver un peu partout en Europe, du moins dans les grandes villes. Mais qu’y mangeait-on?
Un joyeux mélange
Peu de cartes ou de menus sont parvenus jusqu’à nous, mais on trouve heureusement des ouvrages, guides gastronomiques avant la lettre, qui nous éclairent. C’est le cas des «Dîneurs de Paris» (1814)1, avec les menus et les prix d’une vingtaine de restaurants parmi les plus réputés. Ces cartes étaient très différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Elles mélangeaient les appellations et le déroulé du service à la française (plusieurs services avec chaque fois de nombreux plats posés en même temps sur la table), encore de règle en Europe, et celui du service à la russe (un plat après l’autre), qui s’imposait peu à peu.
Les cartes commençaient par les Potages puis les Hors d’œuvres, dont certains seraient considérés aujourd’hui comme des plats: huîtres, citrons, figues, radis, artichauts, salade d’anchois, thon mariné, œufs. Mais aussi choucroute garnie (qui parfois se trouvait dans la rubrique bœuf ou Entrées de bœuf), côtelettes de porc, saucisses, boudins, andouillettes, petit salé, pied de cochon, jambon aux épinards, rognons à la brochette, boudin noir, andouillettes etc. Ensuite venaient les «Entrées» de bœuf, de pâtisserie, de mouton, d’agneau, de veau, de volaille, de gibier et de poisson. Chacune de ces entrées proposait une bonne dizaine de préparations différentes.
Innovation et tradition
Des plats nouveaux tels que le Rotsbiff (sic) d’inspiration anglaise côtoyaient des plats très anciens comme les crêtes et rognons de coq ou les oreilles de veau farcies. A noter que l’on trouvait parfois sur la carte des «truites à la genevoise». Venaient ensuite les Rôts, appellation remontant à la cuisine médiévale, qui comprenaient principalement des viandes rôties: poulet gras, perdreaux, dindons, bécasse… mais aussi les poissons frits comme le goujon ou la sole.
Sur la plupart des cartes, les entremets sucrés et salés se trouvaient mélangés: épinards, choux fleurs, cardons à la moelle, haricots, pommes de terre sous différentes formes, petits pois, asperges, croûtes aux champignons, truffes, macaronis, omelettes aux rognons ou au jambon, œufs brouillés aux truffes, beignets d’abricots ou de pêches, charlotte aux pommes, crème à la vanille ou au café, omelette soufflée ou au sucre, beignets et même fondu (sic) au fromage chez Billiote. Enfin venaient les desserts, parmi lesquels figuraient également les fromages. C’étaient plutôt des fruits, frais, en compote ou en confitures. On trouvait également des meringues à la crème et divers biscuits. La carte se terminait avec une liste des vins et des liqueurs.
Ce qui frappe, c’est le nombre très élevé de plats différents, ce qui exigeait des stocks importants à une époque où les frigidaires n’existaient pas. Certes, l’approvisionnement en viande et poissons se faisait quasiment au jour le jour et les caves ou celliers conservaient une certaine fraîcheur. On savait aussi fabriquer de la glace et des maisons spécialisées en importaient de grandes quantités. Quant aux restes, il existait toute une filière de revendeurs de «reliefs» de cuisine ou de table.
Ces restes des tables de la Cour ou de grandes maisons princières, ainsi que celles des restaurants réputés, se revendaient à bon prix. Cette pratique perdura longtemps et Zola l’évoque dans le «Ventre de Paris». Bien entendu, à côté de ces établissements luxueux, il existait également des restaurants plus simples et même des guinguettes où l’on servait matelote, gibelotte et «un méchant petit vin verd (sic)», le guinguet.
Frédéric Schmidt
1 Honoré Blanc, «Les dîneurs de Paris», 1814, que l’on peut trouver en pdf sur le Net.