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Un trio de publications

Pérennité de l’écrit, importance du style

30 Nov 2022 | Culture, histoire, philosophie

L’idée que «tout doit être numérique» a dès longtemps cédé la place au concept du «mix marketing», à savoir qu’une information brute passe par le Web, mais qu’un article de fond, un texte d’analyse, un vrai plaisir de lecture et de culture nécessite du papier. Le groupe SPG Rytz l’a bien compris, qui vient d’ajouter un nouveau titre inédit à ses publications.

Présentée comme une revue «humaniste», LVX tranche à la fois sur les newsletters publicitaires et les magazines superficiels étalant sur papier glacé les photos de voyages offerts aux publi-rédacteurs par tel ou tel office du tourisme exotique. Comme votre Journal de l’Immobilier bien-aimé, le nouveau média dirigé par notre confrère Emmanuel Grandjean traite de sujets de société, de thèmes culturels et artistiques et naturellement d’architecture et de cadre de vie.
Tiré à 15 000 exemplaires et distribué gratuitement en Suisse romande deux fois par an (en mars et en novembre), LVX innove par sa présentation, le toucher de son papier et la finesse de son approche graphique. Son contenu est de haut niveau. Rappelons que «L’Information Immobilière» en 1976, puis «Immorama» en 1997, ont déjà montré que la presse de qualité n’était pas la chasse gardée de grands groupes. Acteurs importants de l’immobilier, Jean Paul Barbier-Mueller et son successeur Thierry ont démontré qu’ils étaient aussi et d’abord des hommes de culture… et des éditeurs avisés. «Cette nouvelle revue s’intéresse à l’art, à l’architecture, à la gastronomie, à l’horlogerie, mais aussi aux tendances et aux technologies: à tout ce dont l’humanité est capable lorsqu’elle donne le meilleur d’elle-même, explique Emmanuel Grandjean. LVX convoque deux fois par an celles et ceux – scientifiques, philosophes, artistes – qui pensent l’époque avec cette élégance qui, parfois, lui manque. Elle est aussi le fruit d’une collaboration entre une rédaction d’auteurs, de critiques et de chroniqueurs chevronnés et SPG One, en partenariat avec Christie’s International Real Estate, le département de l’immobilier de prestige de la SPG».

«L’Information Immobilière»
d’automne

C’est l’occasion de revenir sur la dernière livraison du vaisseau amiral des publications SPG Rytz: «L’Information Immobilière», parue récemment, propose un grand dossier sur les constructions – maisons individuelles comme immeubles locatifs – capables de lutter contre les effets du réchauffement climatique.
Eternellement sommée de résoudre les problèmes de société les plus insolubles, par exemple la grande solitude des gens en ville ou le mal-être et les drames des banlieues, l’architecture est aussi tenue désormais de s’attaquer au dérèglement climatique et de présenter, le plus vite possible, des solutions concrètes. «C’est un fait, disent les auteurs, il faudra désormais vivre avec des canicules qui n’auront plus rien d’exceptionnel. On passera l’été à Genève comme en Sicile ou à Corfou. Sauf que nos architectures tempérées ne sont pas les héritières de celles des pays chauds, qui protègent de la fournaise».
Comme l’architecture est un art, mais aussi une science, et parce qu’elle parle autant à l’intelligence qu’à l’émotion, elle est assez à l’aise en ces temps compliqués. Car elle offre des solutions concrètes tout en prenant en compte les nécessités de la vie en société. Le monde change, mais l’architecture s’adapte et ne cesse de se réinventer! En Suisse, les architectes danois Schmidt Hammer Lassen vont ainsi construire la plus haute tour en bois du monde: cent mètres dans le ciel de Winterthour à partir de 2026.

La ruse de la raison

Réchauffement climatique, transition énergétique, biodiversité… Et puis derrière tout cela, en arrière-plan, invisible comme toujours, l’éternelle «ruse de la raison» de Hegel. Si l’écologie a marqué des points depuis vingt ou trente ans, sous l’aiguillon des Verts, c’est bien dans le domaine de la construction et du bâtiment. Des immeubles qui ne consomment quasiment plus rien, ou qui créent même de l’énergie. Des écoquartiers devenus des champions de la sobriété énergétique… Aucun domaine n’a connu un progrès aussi rapide, aussi fort, aussi radical! La revue donne des exemples de cette architecture en train, sans qu’on s’en rende vraiment compte, de changer le monde.
Le combat contre la chaleur, suggère «L’Information Immobilière», c’est aussi la lutte contre la grisaille et la tristesse des bâtiments et des villes, c’est la lutte pour une forme de poésie venue du fond des temps, une poésie de la nature et de la liberté. «Rendu responsable des îlots de chaleur dans les grandes villes, dit la revue, le béton cristallise toutes les attaques. Inventé par les Romains, il se pare aussi de vertus, tant il est difficile de s’en passer dans les métiers du bâtiment. Sans liants chimiques, écologique, il est projeté, mêlé à de la terre ou à de l’argile pour fournir un rempart étanche qui garantit une température constante et agréable. Ailleurs, on réveille d’anciens systèmes constructifs qui gardent le frais, on s’inspire des techniques en vigueur dans les régions habituées aux températures extrêmes et on met en place des circuits de refroidissement à partir des eaux des lacs et des rivières. Mais tous ces développements prennent du temps, tandis que les patiences ramollissent sous 42 degrés à l’ombre».

«Immorama» ouvre le débat des débats

Reste à évoquer la revue trimestrielle «Immorama», qui consacre un dossier à cette question tabou: où en est aujourd’hui, en Suisse comme ailleurs, la liberté d’expression? Que peut-on dire ou ne pas dire dans les médias, sur les réseaux sociaux, à l’Université ou entre amis? Dans quelle mesure l’échange d’idées et l’acceptation de la contradiction font-ils encore partie de notre pratique de la démocratie? Avec cette inquiétude taraudante: le débat n’est-il pas trop souvent déclaré clos avant d’avoir été ouvert?
Thierry Barbier-Mueller l’explique dans son éditorial, «la montée de l’intolérance et la violence croissante du débat – ou plutôt des affirmations péremptoires d’opinion – dans la société contemporaine est un sujet préoccupant. Mais avant de proposer à nos lecteurs un dossier consacré à ce thème brûlant, nous avons hésité. Devions-nous, après Onfray, Finkielkraut et tant d’autres, brandir l’étendard de la liberté d’expression menacée par les bien-pensants et les minorités suractives? De façon très prosaïque, nous sommes arrivés à la conclusion que rien n’était plus important ni plus actuel que de réfléchir constamment aux exigences et aux conditions d’un débat sain et vigoureux»
L’éditorialiste rappelle la violence de certains débats qui ont marqué l’histoire: Voltaire souhaitant ouvertement la mort de Rousseau, Théodore de Bèze comparant l’Eglise catholique à une catin, Magritte écrivant à un critique: «Tout le monde m’assure que vous n’êtes qu’une vieille pompe à merde et que vous ne méritez pas la moindre attention»… Pas question bien sûr d’en revenir à ce genre d’outrances, mais pas question non plus d’accepter que les grands débats de société soient désormais escamotés ou carrément interdits, ce qui est le cas de plus en plus souvent.

«La parole n’est plus à vous!»

«La parole n’est plus à vous!», observe Emmanuel Grandjean, qui évoque plusieurs cas emblématiques. Des activistes antiracistes qui dénoncent le fait que la militante afro-américaine Angela Davis, icône des luttes féministes et de l’antiracisme, soit interrogée par une journaliste à la peau blanche, en avril 2022, au Théâtre national de Bruxelles. En mai 2022 à Genève, c’est une conférence sur la médicalisation précoce des enfants transgenres qui est interrompue par un collectif qui la juge «transphobe». Et puis à Berne, l’été dernier, le patron d’une brasserie interrompt un concert de reggae parce certains membres du groupe, tous blancs, ont une coiffure rasta (appropriation culturelle…). Le même refusera, quelques jours plus tard, de servir un café à un soldat en uniforme.
Autant d’exemples qui, au-delà de leur aspect parfois anecdotique, témoignent d’un inquiétant recul de la discussion et même de la vie sociale.

Nature et poésie

Mais «Immorama» propose aussi d’autres thèmes plus reposants! Un reportage sur le magnifique espace réalisé à Genève, sur le plateau de Frontenex: une forêt de plus de 200 bouleaux, un jardin de sculptures et deux bâtiments de 156 logements réalisé dans le plus strict respect des règles de durabilité. Une interview joyeuse et décoiffante avec la philosophe milanaise Ilaria Gaspari, qui explique aux grands émotifs que nous sommes tous comment vivre avec ces expériences négatives et comment les transformer en forces positives. Et puis, un peu sur le même registre, une rencontre avec Laurence Paoli pour son livre «Quand les animaux nous font du bien» (Editions Buchet-Chastel).

 

Vincent Naville et Robert Habel

Les trois publications peuvent être lues sur leurs sites respectifs et l’on peut s’y abonner via ceux-ci ou par le site www.spg.ch