Les politologues connaissent mal la botanique (rameaux de la paix et palmes académiques).

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hors champ

Pactiser avec le diable? Avec l’ange, c’est pire!

6 Juil 2022 | Culture, histoire, philosophie

Pendant trois jours, entre le Palais des Nations et la Maison de la Paix, universitaires et humanitaires se sont passé des bagues au doigt, au nom du «Conseil académique sur le système des Nations Unies» (acuns.org). «Sur» ou «pour», c’est là le piège: est-on encore un esprit libre quand on a la main tendue?

«Les Nations Unies reposent sur quatre piliers: la paix, les droits, l’humanitaire, le développement», rappelait un des penseurs dudit Conseil à la soirée d’ouverture du congrès. Sans s’en douter, il venait de dire pourquoi la communauté internationale claudique et trébuche: les quatre piliers ne sont pas du même bois ni du même âge. C’est parce que des régimes sont ineptes et inaptes (ou alors mal lotis) qu’on a besoin des Nations Unies pour tenter d’y sauver la démocratie et le développement (les Nations riches et libres n’ont guère «besoin» du «machin»). A l’inverse, c’est par excès de sève que certains Etats troublent la paix, comme on le voit ces temps entre les Trois Grands qui fuient en avant dans «l’impérialisme». Quant à l’humanitaire, il est en position intermédiaire: l’aide en cas de catastrophe est moins affaire de ressources que de coordination: même bien doté et bien géré, un pays ne peut faire face seul au climat, sinon à un séisme. Y aurait-il donc dans l’édifice onusien un vice de construction qui explique l’irréductible fracture Nord-Sud? En tout cas, on ne voit pas la maison et ses quatre piliers sous le même angle selon qu’on vit sous son toit ou qu’on la prend en photo.

A la tête du Palais, on ne perd
pas la tête

«L’histoire donne des leçons précieuses; l’ennui, c’est qu’elle manque d’élèves»: ce fut l’autre phrase clef de la soirée. Elle sortit de la bouche de la directrice de l’Unog, l’Office des Nations Unies à Genève – Tatiana Volovaya – aussi libre de ton que Michael Møller avant elle. Comment une personne occupant une position aussi formelle et politique arrive à garder telle vivacité de pensée, c’est un miracle. Cette Russe, économiste, ancienne journaliste… doit vivre dans son for intérieur tous les conflits du monde. En tout cas, elle fut bien plus impertinente que les professeurs et diplomates qui l’écoutaient ce soir-là ou qui «débattirent» les deux jours suivants à la Maison de la Paix dans une unanimité suspecte de «gagnant-gagnant». Bref, faut-il être louche d’entrée pour garder son «quant-à-soi», comme le suggère un second cas?

Vu de Sirius sinon du Ciel

Le dernier jour, une session (au moins) s’inscrivit en faux contre le consensus de ceux qui – «juges et parties» – se donnent de bonnes notes, à eux et leurs pairs. Car un tel congrès – sous des intitulés savants – vise surtout à faire du réseautage, trouver des partenaires, chercher des subventions. Sauf pour les rêveurs qui obéissent à un impératif supérieur: auteur d’un livre sur «l’Université de demain», un groupe venu de pays arabes (ou d’Universités islamiques exotiques) s’en est pris au carriérisme académique: «On ne pense plus à rien d’autre – chez les profs ou leurs élèves – qu’à avoir un bon job». Pour un mécréant comme le soussigné, ce fut une surprise d’entendre ces gens supposés en retard prendre au contraire un pas d’avance, quitte à se barder de «spiritualité». C’est vrai que ces utopistes étaient tous professeurs ou chercheurs en sciences «dures»; où on «éduque» en… insérant les jeunes dans la chaîne de production.

Vive la lune de classe

Loin de nous l’idée d’opposer la lunette de Galilée et les lubies d’un Althusser: les pays où on vénère l’ingénieur et moque le philosophe sont souvent totalitaires. Mais «apprendre» les maths, la chimie, les langues, la psychologie et l’histoire, c’est «apprendre» dans cinq sens divers: là aussi, que de pièges sous les plus jolis mots… et cet article ne fait rien d’autre que montrer les fissures logiques que cache le «co-branding» académique, onusien, étatique et médiatique (qui s’affichait en gros logos sur l’invitation au congrès transmise par le Club de la presse). Le chic humanitaire et académique sert-il à cacher le matériau fracturé sous une couche de crépi brillant? Or la lézarde se voit vite: dans sa déclaration d’intention contre la «désinformation», l’annonce du congrès insistait sur l’urgence – pour la politique – de s’appuyer sur l’information «scientifique» et des faits «objectifs». Dont les profs sont tenus pour oracles, ça va sans dire… quitte à dire juste après que les jeunes voient plus juste: la logique ne fait pas le poids face au faire-valoir.

L’éducation court plus vite que son ombre

On est même pris d’admiration face à ces équilibristes champions du grand grand écart. Education… humanitaire… chercheurs… que de paillettes pour éblouir le public! Mais n’y a-t-il jamais d’accident? Mettre au même régime «scientifique» les cinq sens (voir plus haut) ne fait-il pas le lit d’une «éducation» par la déclaration (comme les Nations Unies les aime)? Et en la proclamant «intouchable» – à l’atelier qui lui fut dédié – ne pousse-t-on pas au crime l’Unesco, dont les phrases passe-partout au ou hors congrès veulent «transformer» ou «réinventer» l’éducation… dont elle n’est que l’ombre? La seule «transformation» et «réinvention» de l’éducation en cent ans fut – pour le meilleur et pour le pire – la révolution numérique. «Ce qui ne tue pas rend plus fort»: c’est au sommet… de l’imprimerie – quatre jours après Acuns à Palexpo (leaderssummit.futureprint.tech/) – qu’on a le mieux entendu battre le pouls du savoir en action. Alon Bar-Shany – imprimeur philosophe – ferait un chef de l’Unesco hors normes.

Réflexion ou marathon?

Retour à la Maison de la Paix… et aux questions de logique: séance un brin polémique, avec l’agence onusienne pour l’alimentation… occasion de demander pourquoi dans les premiers «Objectifs du développement durable», on trouve la lutte contre la faim en plus de la lutte contre la pauvreté: n’est-ce pas un peu la même chose, malgré l’histoire du calife mort de faim sur son tas d’or? «Non… on doit aussi veiller à la sécurité alimentaire… aux lignes de communication». Certes, mais alors c’est un tout autre problème, plus proche de la sécurité militaire que des droits populaires. Au moment de quitter la Maison de la Paix en fin de congrès, dernier essai pour tester la foi des savants: «Les Objectifs du développement durable sont une croisade pour faire des promesses de la Déclaration une réalité: un savant ne doit-il pas avoir un doute face aux Croisades… quelle que soit leur couleur?». Le savant croisé – interrogé par le journaliste – n’entend pas la question… et – comme ses collègues – semble surtout en pélerinage pour le «classement des Universités en Objectifs du développement durable».

 

Boris Engelson