«On a toujours besoin d’un plus petit que soi»

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SUR LE BOUT DE LA LANGUE

«On», le couteau suisse de la langue française

25 Sep 2024 | Culture, histoire, philosophie

Ce lointain descendant du latin homo, «homme», permet aujourd’hui de remplacer les pronoms personnels comme «je», «tu» ou «nous». Un cas unique.

«On» l’utilise tout le temps, mais «on» n’y prête guère attention. Et pourtant, l’histoire de ce petit mot qui n’a l’air de rien, de ces deux lettres accolées comme par le fait du hasard, a tout d’une incroyable aventure.
Certains d’entre vous le savent sans doute: «on» nous vient en droite ligne du nominatif latin homo, «homme». Au fil du temps, homo évolua sous différentes formes – huem, puis hom, hum, om, en, an – avant que ne s’impose «on». Première curiosité, donc: ces deux lettres devenues pronom personnel correspondaient au départ à un substantif.
«Que dit-on?»; «On ne fait pas toujours ce qu’on veut»; «On vivait mieux avant-guerre»… Vous l’aurez remarqué: dans ces différents exemples, «on» désigne une personne dont on ne précise pas l’identité. Car l’indétermination, c’est la force de notre «on», qui lui permet de représenter l’ensemble d’un groupe humain. «On a gagné!», nous arrive-t-il de beugler après une victoire de l’équipe de France (en revanche, ce sera «ils ont perdu» au lendemain d’une défaite, mais c’est une autre histoire…).
Le «on» touche même à l’universel quand il s’agit d’exprimer une forme de sagesse: «On reconnaît l’arbre à ses fruits»; «On a toujours besoin d’un plus petit que soi»; «On est tous égo» (bon, d’accord, ce n’est pas vraiment un proverbe, mais j’aime beaucoup cette citation du publicitaire Serge Uzzan et j’ai profité de l’occasion pour la caser).

Polymorphe

Véritable couteau suisse de la langue française, notre «on» est pour autant capable de désigner… une personne précise. «Je», par exemple. Si votre conjoint/votre patron/votre belle-soeur/votre meilleur ami (choisissez la personne à qui vous fait penser cette scène) vous lance: «Tu arrives, oui?», vous pouvez lui répondre: «ça va, ça va, on arrive». Dans un registre plus soutenu, on trouve aussi le «on» de (fausse ?) modestie: «Dans ce livre, on a voulu aider le lecteur à se forger une opinion», signale l’auteur en parlant de lui à la troisième personne. Il existe même un «on» de pudeur. Molière, dans «Le Tartuffe», prête à Elvire cette réplique: «L’on a des secrets à vous révéler». Une manière moins inconvenante de livrer ses sentiments.
Mais cela peut-être aussi «tu», notamment dans la langue familière: «Alors, ma petite, on passe ses vacances chez sa grand-mère?» ou bien «Alors, on s’en va comme ça, sans dire merci?». Ce qui n’empêche pas «on», en d’autres occasions, de faire office de «vous», qu’il s’agisse d’un «vous» de politesse – «Je vois que l’on m’écoute avec moins de regret» («Bérénice», Racine) – ou du «vous» du pluriel, par exemple dans «Britannicus» – cette fois, c’est du Corneille – lorsque Néron s’adresse à ses gardes: «Et vous, qu’on se retire!». Et ne croyez pas que cette tournure soit propre aux Classiques. On la trouve encore aujourd’hui à foison, par exemple chez Amélie Nothomb: «On ne se refuse rien chez vous!».

 «On a gagné!»

Et encore…

Comme si cela ne suffisait pas, notre fameux «on» peut aussi remplacer et la troisième personne du singulier – «Vous aimez. On vous aime» (Racine, encore) – et la troisième personne du pluriel: «On ne nous a pas demandé notre avis» (mon cousin par alliance, à propos des nouveaux horaires du ramassage des ordures). Et puis, nous le savons tous: «on» remplace de plus en plus souvent «nous». «On a faim!», «On part en vacances», «On est trois»; et «on» (là, c’est «je») pourrait continuer ainsi longtemps. Selon les linguistes, cette évolution serait même d’usage croissant depuis le XIXe siècle. Ce qui conduit à cette question: pourquoi ce dédain collectif pour ce pauvre «nous», impitoyablement laissé de côté alors qu’il remplit exactement la même fonction? Sans doute, suggère Julien Soulié, parce que, consciemment ou inconsciemment, la première personne du pluriel est associée à une image un peu officielle, compassée, administrative, soutenue. Il n’a pas tort. Voyez la différence entre «Viens, on s’en va» et «Viens, nous nous en allons». Tout francophone le perçoit: le sens est identique, certes, mais le registre diffère.

Le pluriel

Toujours est-il que cette évolution pose un redoutable problème à l’écrit. Car si, avec «on», le verbe se conjugue nécessairement à la troisième personne du singulier, que faire des adjectifs? Sur ce point, même les dictionnaires ne sont pas d’accord entre eux. Certes, chez Larousse, la question paraît tranchée. Quand «on» est employé au sens de «quelqu’un», il reste au masculin singulier: «A quinze ans, on est encore naïf». En revanche, quand «on» remplace «je», «tu», «il», «elle», «nous», «vous», il s’accorde avec le pronom implicite: «On est arrivés ce matin» ou bien «Alors, on est contentes?». Le Robert en ligne est sur la même position, qui conseille: «Lorsque «on» désigne une personne en particulier, l’adjectif s’accorde avec le sujet réel, au masculin ou au féminin selon le cas». Et de citer cet exemple: «On est contente, madame Langlois?».
En revanche, la règle est beaucoup moins nette du côté de l’Académie française. Les Immortels indiquent en effet: «L’adjectif attribut se rapportant à «on» s’accorde au masculin singulier». Tout en reconnaissant qu’«il arrive toutefois que l’accord se fasse avec le sens: «Comme on est contents de se retrouver si nombreux!».
Avec ça, «on» n’est pas vraiment avancé (s?)…

 

MICHEL FELTIN-PALAS

 

Cette chronique de Michel Feltin-Palas, rédacteur en chef de «L’Express» à Paris, est reproduite avec l’autorisation de l’auteur et du magazine.
©Michel Feltin-Palas/ lexpress.fr/février 2022.

Lire aussi: «Les pourquoi du français», par Julien Soulié. First Editions.