Le régime hypocalorique n’était pas encore à la mode.

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Malgré la guerre, l’indignation et les sanctions

On continue à «manger à la russe»

23 Mar 2022 | Culture, histoire, philosophie

Même si dans la vie de tous les jours, le plat unique est souvent de mise, la trilogie entrée, plat, dessert reste une référence sur nos tables. Surtout pour les repas un peu festifs. On l’a oublié, mais cette façon de faire se nomme un «service à la russe». Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi: c’est l’aboutissement d’une longue évolution.

Au Moyen Age, dans la noblesse ou les milieux aisés, les grands repas comportaient six services ou «assiettes» se composant chacun de plusieurs plats: potage, rôt, entremet, desserte (sic), yssue et boute-hors. Au début du repas, on trouvait certes des soupes ou brouets, mais également des préparations à la viande épaisses ou solides. Le rôt était le centre du repas avec des viandes rôties, de boucherie ou de chasse. L’entremet regroupait un ensemble très divers de préparations chaudes et froides, sucrées ou salées: pâtés et tourtes de viande ou de poisson, viandes bouillies, fricassées, rissoles, compotes et légumes notamment. A la desserte apparaissaient des flans, crèmes, fromages et fruits variés. Les gaufres et l’hypocras (vin sucré, épicé et servi froid) se prenaient à l’yssue. Quant au boute-hors, il était toujours constitué d’épices confites ou de dragées, servies après que les convives se furent lavés les mains et levés de table. Il s’agissait de faciliter la digestion et de se purifier l’haleine.

Service à la française

Les XVIIe et XVIIIe siècles verront triompher le «service à la française», issu de la tradition médiévale, mais avec de notables différences. Il se composait lui aussi de plusieurs services, de trois à cinq, contenant eux-mêmes de nombreux plats placés simultanément sur la table: potages ou «oilles», hors-d’œuvre, relevés, entrées, rôts, entremets et desserts. C’est à partir de cette époque que les plats sucrés vont être peu à peu regroupés en fin de repas. Grimod de la Reynière, dans l’édition 1805 de son «Almanach des gourmands», écrivait: «Un grand dîner se compose ordinairement de quatre services. Le premier comprend les potages, les hors-d’œuvre, les relevés et les entrées; le second les rôtis et les salades; le troisième les pâtés froids et les entremets de toute nature; le quatrième enfin le dessert, et sous ce nom sont compris les fruits crus, les compotes, biscuits, macarons, fromages, petits fours, confitures et glaces». Précisons que les convives ne mangeaient pas de tout, chacun choisissait parmi les mets qui se trouvaient les plus proches. Il était très mal vu, voire inconvenant, de réclamer un plat se trouvant à l’autre bout de la table.

Simplification venue de l’Est

Maintenant, notons que ces ordres de présentation n’indiquaient pas l’ordre de consommation, puisque tous les plats d’un service étaient posés en même temps. Pour les entremets, on peut supposer que les salés se mangeaient avant les sucrés et les chauds avant les froids. En Europe, les habitudes alimentaires ont beaucoup évolué tout au long des siècles et pouvaient être assez différentes suivant les pays ou les régions. Cela est aussi vrai pour le nombre et les heures des repas. Pourtant, au début du XIXe siècle encore, les tables royales ou princières européennes utilisaient souvent le service à la française, surtout pour les dîners d’apparat.
Le «service à la russe», qui s’imposera presque partout vers le milieu du XIXe siècle, se caractérisait par un nombre de services et de plats moins importants, servis aux convives au fur et à mesure. Il aboutira peu à peu à l’ordre simplifié que nous connaissons: entrée, plat, éventuellement fromage et/ou dessert, avec un seul plat par service. Certains disent que cette pratique fut introduite en France par le prince Kourakine vers 1808, mais la réalité est sans doute plus complexe. Enfin, l’autre innovation de cette période est l’apparition des menus destinés à tous les convives, avec l’indication des différents plats. Certes il en existait avant, mais ils n’apparaissaient pas sur la table.

 

Frédéric Schmidt