«La vie est belle», titre de deux films: celui de Roberto Benigni est moins «blanc», mais celui de Frank Capra plus «social».

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hors champ

Ne pas manquer la coche

16 Mar 2022 | Culture, histoire, philosophie

Des cases à cocher… bref, des «checklists»… c’est la «logique» qui domine chaque jour plus les décideurs politiques, culturels et même spirituels dans nos «libres» républiques. Au Foyer de Mancy, à Uni-Carl-Vogt, au Festival du film (…) des droits humains, au Musée d’ethnographie ou à celui de la Croix-Rouge et à la Croix-Rouge elle-même: en tout temple «officiel», on vise la perfection – voire parfois la sainteté – l’œil fixé sur la partition; pas une fausse note dans le chœur, mais est-ce de la musique ou des incantations?

Jamais conférence de presse n’aura été si houleuse que celle où la conseillère d’Etat en charge de l’Instruction publique se défendait des attaques de journalistes sur l’affaire du Foyer pour autistes de Mancy. Même les médias de son bord étaient sans pitié, et sous le souffle des boulets, Anne Emery-Torracinta a dû se sentir «solidaire» de… Pierre Maudet. Or la ministre – qui a une fille autiste – est pétrie de bonnes intentions: c’est sans doute même ça le problème. Pour sauver sa tête, elle multiplie désormais les plans de contrôle sans faute et de gestion sans risque. Hélas! Les technocrates du psycho-social ne sont-ils pas déjà trop formatés, coincés, fagotés, uniformes? Comment laisser une porte ouverte à l’imagination, à la dynamique, à l’adaptation… en charge d’une maladie de toutes les surprises mais face à un cahier de toutes les charges? Ne peut-on laisser une lucarne ouverte dans le traitement des incompris?

Nettoyage ethnique à l’envers

Autre liste, mais qui n’est encore cochée qu’au crayon… celle des grands hommes qui risquent leur tête dans les rues de Genève: trente-trois bustes ou stèles à abattre ou à corriger… c’est ce qu’on doit voir avant de cocher au stylo. Miracle, car d’ordinaire ce n’est pas le genre de la Maison: l’«étude» livrée à la Ville par deux experts compte plus de «?» que de «!». Et lors d’un débat au salon Artgenève, l’édile en charge de la Culture a admis son embarras face au «raciste» Woodrow Wilson. Ladite «étude» a même osé évoquer la statue de Gandhi, offerte par l’Inde et posée face à la Croix-Rouge. Or, si Carl Vogt, Henry Dunant, voire Jean Calvin sont au centre du débat, les questions qui gênent tournent plutôt autour de Gandhi, des Tutsis et de Skanderbeg (omis de la liste mais ni plus ni moins raciste que Guillaume Tell)… surtout ces jours où la journaliste Natacha Polony doit répondre devant la Justice de négation de génocide. Hélas! Si les auteurs de l’«étude» posent et se posent des questions, le Festival du film (…) des droits humains met droit au cachot David de Pury ou Ami Butini arrêtés «sur liste»… comme on l’a vu lors du concours oratoire des «Juristes progressistes».

A qui profite la morale?

L’histoire récente n’a-t-elle pas brassé les cartes du racisme en Europe (Catalogne et Ukraine), en Asie (Myanmar, Vietnam, Mongolie, Xinjiang), voire en Afrique? En partant en guerre contre la «traite» deux siècles trop tard, ne se lave-t-on pas les mains des sujets du jour? En tout cas, punir Carl Vogt n’aidera ni George Floyd ni Kiev, mais George Floyd aide mieux l’Agenda 21, pour dire les choses en deux mots. Autre oublié de la liste, Saint Pierre dans la Vieille Ville… et pour cause: de gré ou de force, Sami Kanaan doit jouer ce rôle à l’entrée du paradis des statues. Retour à Gandhi qui gêne tout le monde: le Musée de la Croix-Rouge l’a censuré il y a sept ans, et le débat final d’un récent festival (fifdh.org) n’a su cocher la bonne réponse sur Modi face à Gandhi: pourquoi les Indiens ont-ils inversé les cases? Quant à la Croix-Rouge elle-même – arroseur arrosé ces jours -, elle s’est aussi «mélangé les pinceaux» mais sur un autre sujet: entre la coche «Assange: j’aime» et celle «Piraté: je n’aime pas».

L’histoire se venge par derrière

Point crucial… les racistes et colons les plus entêtés furent plus souvent mus par le bien que le gain: les Pères Blancs n’y trouvèrent guère de confort matériel, les Montagnards crurent bon d’éliminer les Gascons, les Communards se sentirent chez eux en Algérie et au-delà. Bref, le Mal que fait le Bien… c’est la question que les experts du festival déjà cité ont éludé de propos délibéré au grand débat du denier soir (qui devait dire «pourquoi (on a) tant de mal à respecter les droits»). Retour aux choses à abattre dans nos rues, avec la Cloche de Shinagawa (près de la statue de Gandhi, mais omise par la liste). Paradoxe dans le paradoxe: de nos jours, l’Asie est moins bruyante que l’Afrique dans ses demandes «décoloniales»; or c’est (dit-on) le plus antiraciste des politiciens d’alors qui – au Traité de Versailles – a bloqué la demande du Japon d’une «déclaration antiraciste».

Dans le sens du vent

Dernier zig-zag entre «l’étude» et le «festival», dont trois jours furent voués à «l’impact»: est film à «impact» – encore une liste à cocher – celui aux mots clefs «genre»… «racisme»… «climat»; Charlie Chaplin ou Pocahontas n’auraient aucune chance. Mais (comment éluder la question) entre Genève, Ouaga et Donetsk, lequel a le meilleur «impact» pour notre avenir: un film à la gloire des éoliennes… ou des obusiers? Le «grand» cinéma a comme héros plus souvent des salauds que des anges… car les anges sonnent faux. On a forcé Mozart à ajouter une scène à la fin de son Don Juan… l’homme – par excellence ou par déchéance – des dilemmes moraux… mais on dit que ce «happy end» a nui au chef-d’œuvre. Pis: un monde sans tare effacerait «racisme» du dictionnaire… mot devenu aussi abscons que la «peur» aux Vikings d’Astérix. De toute façon, dans notre Mecque de l’éducation aux écoles menées par une historienne, les jeunes – à force de rap – prennent souvent Dante pour le Che, Darius pour Jésus, Blocher pour Hitler, Platon pour Napoléon ou Bouddah pour Mandela.

 

Boris Engelson