DIPLOMATIE - Les confidences de Georges Martin
Mémoires décapants d’un ambassadeur
Si le Général de Gaulle a pu dire que «les diplomates ne sont utiles que par beau temps. Dès qu’il pleut, ils se noient dans chaque goutte», l’ambassadeur de Suisse Georges Martin n’appartient manifestement pas à cette catégorie. Preuves en sont ses mémoires décapants et rafraîchissants (Editions Slatkine), où l’ancien diplomate helvétique évoque une vie au service de son pays et plaide pour une Suisse neutre, active et respectée, mêlant souvenirs d’une carrière aux postes variés et propos sur l’actualité.
Dans un dernier chapitre d’un livre qui trace le portrait d’un Valaisan ouvert (ce n’est pas un oxymore!), Georges Martin ose même dresser le portrait sans fard des cinq chefs de Département des affaires étrangères qu’il a connus et servis. Participons à la réception de ce livre réussi plutôt qu’à celle, avec petits fours et champagne, de Son Excellence l’Ambassadeur.
Préfaçant avec talent et finesse un ouvrage dont on se méfie toujours, tant la lecture des mémoires de diplomates, généralement remplis de propos convenus, est souvent ennuyeuse, l’ancien ambassadeur Jean-Pierre Vettovaglia trace un portrait de son collègue Georges Martin, qui «a certes toujours défendu les intérêts et les valeurs de la Confédération, mais en conservant une grande indépendance d’esprit, un courage certain dans l’exercice de son sens critique. Il a veillé à se conserver ici et là une marge de manœuvre et a surtout mis en avant la préservation de sa famille. Il a souvent fait montre d’une grande intelligence émotionnelle, basée sur un jugement personnel et des avis orientés vers des solutions. Fonctionnaire mais pas trop, ou pas seulement…».
Origines valaisannes et génération soixante-huitarde
Si les deux premiers chapitres du livre «Une vie au service de mon pays» racontent des aventures diplomatiques à Bakou et dans le Golfe dignes de James Bond, le lecteur est ensuite plongé dans un retour en arrière consacré à l’enfance valaisanne de Georges Martin à Chamoson, puis à son éducation catholique – où il croise sa première personnalité, Mgr Marcel Lefebvre, alors à la tête de la Congrégation des Spiritains – et à la découverte de Mai 1968 par un final d’études en France, avant de rejoindre l’Université de Lausanne. Les pages consacrées à son enfance tracent le portrait peu nuancé d’un Valais à la sauce conservatrice catholique des années cinquante. Comme le relève Jean-Pierre Vettovaglia, le révolutionnaire a terminé diplomate mais n’a pas enlevé à Georges Martin un léger caractère contestataire et iconoclaste, dont témoignent plusieurs épisodes de sa vie rapportés dans son livre au style direct, enlevé et vivant.
La sarabande de la chef
et des cinq chefs
Georges Martin s’est livré à un exercice très délicat à la conclusion de son livre: dresser un portrait de tous les chefs du DFAE qu’il a bien connus. Un exercice de funambule en principe destiné à l’échec, indique Jean-Pierre Vettovaglia. C’est une partie très intéressante de l’ouvrage, car si la plume de Georges Martin est critique, parfois ironique, elle est toujours bienveillante dans son respect de la fonction et donc probablement juste dans son appréciation de Pierre Aubert, l’oncle gaffeur bien-aimé; René Felber, réel homme d’Etat et gentilhomme; Flavio Cotti, charmeur et sadique latin; Joseph Deiss, introverti et modeste, mais laissant d’importantes réalisations à l’image d’un excellent horloger suisse; Micheline Calmy-Rey, vraie dame d’Etat à l’activisme légèrement narcissique; Didier Burkhalter, conseiller fédéral austère et volontaire dans la réalisation de ses convictions. Vettovaglia tranche: «Les critiques adressées à tous les chefs du DFAE laissent intact leur honneur de conseillers fédéraux. Georges Martin a lu sans doute Oscar Wilde qui disait: tuer est une faute: il ne faut jamais rien faire dont on ne puisse pas parler après le dîner».
Ignazio Cassis, inconstant
et illisible?
Bien qu’il ait quitté le service du DFAE avant l’élection du ministre actuel, Georges Martin trace, tout au long du livre, un portrait peu flatteur et très critique d’Ignazio Cassis, dont «l’œuvre jusqu’ici s’apparente à un démontage de tout ce qui a été construit auparavant par ses lointains et proches prédécesseurs», n’hésitant pas à qualifier le Tessinois de ministre des Affaires étrangères «le plus inconstant et illisible que nous ayons jamais eu». Est-ce le syndrome de «c’était bien mieux de mon temps» qui frappe l’ancien Ambassadeur Georges Martin? On ne saurait l’affirmer, mais ces propos, comme d’autres présents dans «Une vie au service de mon pays», démontrent à l’évidence que ces mémoires sont l’œuvre et le plaidoyer d’un diplomate qui ne répond pas à la définition qu’en avait donnée l’ancien Premier ministre britannique Edward Heath: «Un homme qui réfléchit deux fois avant de ne rien dire».