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culture & nature - L’exemple valaisan

Maisons d’écrivain: un modèle à définir

10 Avr 2024 | Culture, histoire, philosophie

Crise à Genève, ronron tranquille en Suisse alémanique et au Tessin, les lieux dédiés à la littérature suscitent la controverse. Pourtant, en Valais, la MEEL (Maison des écrivaines, des écrivains et des littératures) fait l’unanimité. Reportage.

«Non, cette Maison Rousseau et Littérature n’est pas notre maison». Ce cri, des dizaines d’auteurs genevois (ou voisins) l’ont lancé dans le quotidien «Le Courrier», protestant contre la gestion des lieux et la piètre qualité d’accueil des auteurs dans ce centre présidé par l’ancien maire socialiste de Genève Manuel Tornare. Outre-Sarine, la Litteraturhaus de Zurich poursuit son bonhomme de chemin, tranquillement, sans jamais casser la barraque. Il en va de même pour sa lointaine cousine de Stans/NW ou pour la Case della Letteratura de Lugano.
Un constat loin de refroidir les écrivains. Jean-Michel Olivier (Prix Interallié), l’un des quatre Helvètes avec Chessex (Goncourt), Borgeaud (Renaudot) et Dicker (Grand Prix du roman) à avoir décroché un grand prix parisien, commente: «Une maison des écrivains, si elle est bien gérée, c’est vraiment une bonne façon de servir la littérature». Quentin Mouron (Prix Alpes-Jura), locomotive de la jeune garde romande: «Un lieu consacré aux auteurs, mais c’est excellent! Il y en a même un nouveau à Vevey, autour de la poésie: ça a l’air top! C’est en tout cas une très bonne initiative». Reste à chacune de ces institutions la tâche de trouver sa ligne et ses raisons d’être.

Abigail l’«Irlandaise»

Pour trouver de l’enthousiasme et un projet exemplaire, il faut sans doute se tourner vers le Chablais valaisan et plus précisément Monthey, où Abigail Seran dirige la MEEL ou Maison des écrivaines, des écrivains et des littératures. A 51 ans, cette femme auteur enracinée dans sa terre s’est retrouvée à la tête d’un projet qui fait l’unanimité. Un peu grâce à son histoire personnelle.
«J’écris depuis 14 ans, raconte la dame. Et c’est une envie très ancienne. Mon père écrivait souvent des acrostiches et ma mère était une grande lectrice. C’est d’ailleurs après une belle réaction suite à un texte écrit pour son anniversaire que j’ai décidé d’écrire mon premier roman». Pour séparer vie privée et vie professionnelle, elle le fera sous un pseudonyme aux accents celtes. Coïncidence quant à ce choix, quelques années plus tard: «Mon mari devait se rendre en Irlande pour son travail. On a décidé d’y aller en famille. Une expérience fabuleuse qui connaît aujourd’hui un prolongement inattendu en Suisse».
Et la directrice de la MEEL d’enchaîner: «J’ai découvert la Maison des écrivains irlandais à Dublin, dans un vénérable immeuble géorgien. J’y ai même suivi des séminaires, notamment de formation à l’écriture en anglais dispensés pour les non-anglophones. J’avoue que cette institution, ses conférences, ses rencontres, m’ont enthousiasmée».

Un Valais qui a du répondant

De retour en Suisse, Abigail reprend sa carrière d’auteur et s’engage au Comité de la Société des écrivains valaisans présidée par Pierre-André Milhit, aujourd’hui également président de la MEEL. Ensemble, avec un groupe de travail ad hoc, ils contribueront à la création, avec le chef de la Culture, d’une plate-forme LittératurePro. «On échange beaucoup avec Pierre-André, et quand je lui ai parlé de cette maison des écrivains irlandais, il a tout de suite vu l’intérêt d’une démarche similaire dans notre canton». Après avoir formulé deux fois leur projet, les deux compères vont décrocher un projet de transformation mis au concours dans le cadre des mesures post-Covid. La ville de Monthey aussi leur emboîtera le pas, elle qui dispose de locaux en son château.

Un bénitier au bureau

Probablement construit au XIVe, cet édifice plein de charme comptait un appartement occupé auparavant par sa concierge. C’est dans ces locaux que la MEEL a pris son essor. Escaliers abrupts, petites pièces, portes imposantes, l’endroit revêt un cachet rare. Dans le bureau de la directrice subsiste même un authentique bénitier, révélateur d’une ancienne chapelle. Et puis deux jolies salles: «Notre salon, où tous les écrivains qui viennent travailler peuvent s’installer pour lire ou boire un café gratuitement. Notre salle rose qui accueille ateliers et rencontres».
Le crédo d’Abigail Seran? «Varier les genres, expérimenter, utiliser cette zone de jeu quasi infinie qu’est l’écriture. De l’exemple irlandais, je garde la qualité formidable de l’accueil, la variété des formations techniques, l’accompagnement, la collaboration avec les éditeurs, si précieux pour les écrivains en début de carrière».

Speed dating littéraire et… salaire!

«La MEEL, poursuit notre interlocutrice, n’est pas un projet hors sol. Il plonge ses racines dans la littérature romande et l’on veut donc qu’il soit porté par les écrivains d’ici. En effet, nous essayons de tout faire pour leur faciliter la vie». Outre les perfectionnements dans tous les types de littérature, on soulignera trois atouts voulus par la directrice et le président: l’organisation de speed dating littéraires pour mettre en présence plumes émergentes et expérimentées, de la formation continue dans ce qu’est le métier d’auteur et – c’est rare dans le milieu – la décision de payer les écrivains en s’approchant le plus possible des recommandations de l’A*dS (sic), Association suisse des auteurs. «C’est essentiel de les rémunérer correctement», explique Abigail.
A noter que cette Maison des écrivaines, des écrivains et des littératures a pu compter sur des appuis solides, regroupant le Canton, la Ville, l’économie privée et de nombreuses fondations, le tout pour un total entre 150 000 et 200 000 francs de budget annuel. L’enjeu désormais est la pérennisation des financements pour assurer l’avenir de la MEEL.

 

Jean-François Fournier

Abigail Seran.