Château abandonné (France).

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SOCIéTé - Phénomène contemporain

L’urbex prend de l’ampleur

18 Déc 2024 | Culture, histoire, philosophie

En marge de la ville, là où les lieux abandonnés racontent des histoires oubliées, un mouvement clandestin fascine et inquiète: l’urbex, ou exploration urbaine. Cette pratique, qui consiste à visiter des lieux laissés à l’abandon, suscite un engouement croissant en Suisse comme ailleurs en Europe. Mais derrière l’attrait des photos Instagram et des frissons de l’interdit se cachent des réalités plus complexes.

L’urbex trouve ses racines dans une volonté de découverte et de valorisation des lieux laissés pour compte: hôpitaux psychiatriques désertés, usines en ruine, manoirs oubliés, catacombes, bunkers d’époques révolues. Pour ses adeptes, ces explorations sont autant de voyages dans le passé, avec leurs murs maculés et leurs structures rongées par le temps comme témoins silencieux. «C’est un moyen de saisir l’éphémère et d’apprécier la beauté dans ce qui est voué à disparaître», explique Clara, une exploratrice suisse qui documente ses découvertes sur les réseaux sociaux.

Un succès amplifié par les réseaux sociaux

L’essor des plateformes comme Instagram ou TikTok a donné une nouvelle dimension à l’urbex. Les clichés spectaculaires d’églises décrépites ou de résidences fantomatiques attirent des milliers de curieux. Certains comptes d’influenceurs accumulent des centaines de milliers d’abonnés, transformant ces explorations en événements quasi familiers. Cependant, cette médiatisation n’est pas sans conséquences. Elle entraîne une surfréquentation de certains sites, voire leur dégradation. «Les lieux finissent souvent vandalisés ou pillés après avoir été exposés en ligne», regrette Clara.
Si l’exploration urbaine fait rêver, elle comporte des risques bien réels. Les lieux abandonnés sont souvent instables, avec des planchers pourris, des escaliers dégradés ou des toitures prêtes à s’effondrer. En Suisse, plusieurs accidents ont été signalés ces dernières années, notamment des chutes graves lors de visites clandestines. Mais les dangers ne sont pas seulement physiques: l’urbex est souvent une activité illégale. Les explorateurs s’introduisent sans autorisation sur des propriétés privées ou publiques, risquant des amendes, voire des poursuites judiciaires. En France, une loi de 2021 a durci les sanctions contre les intrusions non autorisées; des mesures similaires sont envisagées dans d’autres pays européens.

Hôtel désaffecté (Italie).
Parc d’attractions abandonné (Vietnam).

Une réglementation en Suisse et en Europe

La législation autour de l’urbex reste floue dans de nombreux pays. En Suisse, les propriétés abandonnées sont souvent protégées par la loi, ce qui rend leur accès illégal sans autorisation. En France, certains sites comme les bunkers de la Seconde Guerre mondiale, gérés par des institutions publiques, suscitent des débats sur leur ouverture au public. En Allemagne ou en Italie, les autorités adoptent une approche plus permissive, organisant parfois des visites guidées dans des lieux sécurisés. Cette tension entre protection patrimoniale et sécurité publique reflète les ambiguïtés autour de la pratique.
Pour beaucoup, l’urbex ne se limite pas à une simple exploration de lieux interdits: c’est une façon de redonner vie à des édifices oubliés, de les inscrire dans une mémoire collective. Des collectifs d’explorateurs militent pour une reconnaissance culturelle de cette pratique, à mi-chemin entre art et archéologie urbaine. En attendant, l’engouement pour l’urbex ne faiblit pas, même si les risques — physiques, légaux ou éthiques — continuent de planer comme une ombre sur cette aventure fascinante.
Avec ses promesses d’évasion et son flirt constant avec l’interdit, l’urbex s’impose comme un phénomène à la croisée du patrimoine et de la transgression, entre fascination et controverse.

 

François Berset

GROS PLAN

Clément, un étudiant romand, pratique l’urbex et a visité de nombreux lieux en Suisse, en Italie, en Angleterre et même au Vietnam (où il a été accompagné dans son exploration d’un ensemble touristique abandonné par des soldats tout heureux de sa visite!). «Ma motivation est la découverte de sites historiques inconnus, de lieux culturels ou industriels abandonnés avec tout leur contenu et dont la démolition aurait coûté trop cher», explique-t-il. C’est assez sportif, il faut parfois traverser une rivière ou grimper sur de vieux murs. Le code d’honneur des vrais urbexeurs est de ne pas taguer, de ne rien prendre ni détruire, de ne déranger personne et d’opérer en petits groupes. Le but est aussi de rapporter des photos; bien sûr, on ne trahit pas les emplacements, mais beaucoup sont connus des collègues urbexeurs».
Une part du jeu est de parvenir à identifier les lieux sur les reportages des autres explorateurs urbains. «Je cherche les indices qui permettent de retrouver les sites». Le jeune homme n’a pas peur de l’accident: «Il faut être équipé et prudent. Ces lieux abandonnés ne sont pas surveillés, donc pas de risque de tomber sur un policier ou un vigile; en revanche, il faut éviter les squatteurs du genre agressif. Cette activité conjugue sport, découverte et reportage».