La porte de la fortune pour la bande de la «Brise de mer».

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«Le casse du siècle» du passage des Lions

L’UBS prise pour un distributeur de billets

6 Avr 2022 | Culture, histoire, philosophie

Voilà trente-deux ans à Genève, des malfrats emportaient un beau dimanche matin plus de 31 millions de francs. Le butin n’a jamais été retrouvé.

Chaque jour, dans les Rues-Basses genevoises, des centaines de personnes empruntent le passage des Lions, notamment pour se rendre «Chez Philippe», steakhouse de Philippe Chevrier, ou plus simplement rejoindre la rue du Rhône depuis la rue de la Confédération. Ou l’inverse. Parmi ces foules souvent pressées, peu de gens savent ou se souviennent de ce qui s’est passé au numéro 6 de ce passage à la superbe verrière, le dimanche 25 mars 1990: un «casse» de 31 millions. «Le casse du siècle» comme l’a surnommé la presse de l’époque.
En ce dimanche 25 mars 1990, des employés de l’UBS sont de permanence. Pour pénétrer dans l’établissement, ils empruntent la porte vitrée du no 6 du passage des Lions. Une guérite, deux gardiens. Il est 7h 30 lorsque deux hommes se présentent à l’entrée. Un gardien leur demande ce qu’ils veulent. Il dira par la suite qu’ils avaient l’air «troublé», mais ils affirment simplement s’être trompés d’allée. Ils quittent les lieux. Quelques minutes plus tard, d’autres individus – cinq au total
a priori – se présentent: tous sont masqués. Armés. Coups de poing, les gardiens sont menottés. Enfermés. Un employé chargé de changer l’heure de l’horloge – passage à l’heure d’été oblige – est également pris en otage avec le concierge qui musardait devant la porte. Peu après, à 09 heures 38, deux employés de la maintenance informatique se présentent et découvrent les otages ligotés dans le local des gardes. Alerte au 117. A leur arrivée, les gendarmes constatent que plusieurs coffres ont été ouverts. Les malfrats ont pris la fuite à 9h 20 au volant d’un Espace Renault et d’une plus petite voiture, toutes deux immatriculées en France et stationnées rue du Commerce.

Pas de caméra, pas d’empreintes

Aucune alarme n’est parvenue aux services de police. Les braqueurs savaient tout: les horaires des gardiens, les combinaisons des coffres, où se trouvaient les clefs… «Ils n’ont même pas emporté tout l’argent», constate Marco Mattille, ancien commissaire de la police judiciaire genevoise. Sur place, pas de caméra. Pas de traces intéressantes, ni d’empreintes. A l’époque, l’ADN en est à ses balbutiements. Le butin est énorme: 31  040  000 francs suisses en une quarantaine de monnaies étrangères. «Le maillon le plus faible de la sécurité, c’est l’homme», reconnaissait dans la presse le responsable de la sécurité de la banque au lendemain du méfait.
La suite est digne des meilleurs scénarios policiers ou de la pire comédie française… Les braqueurs devaient retrouver celui qui se fait passer pour le cerveau de l’affaire dans une maison de Bellevue, afin de se partager le magot. Ce «cerveau» – un Français qui travaille à Genève comme prof de sport – ne touchera jamais un centime! Les enquêteurs ont compris que des complicités existaient à l’interne. Fin mai 1990, trois Suisses sont arrêtés à Genève: deux employés et le mari de la secrétaire. C’est ce dernier qui a embauché des «professionnels», des Corses en l’occurrence. On met à l’actif de ce clan de la «Brise de mer» un braquage de la Caisse d’Epargne de Toulouse, une attaque d’un fourgon postal à Marseille et plus de 150 attaques à main armée pour la seule année 1986.
Il faudra du temps aux policiers genevois pour remonter aux Corses. L’enquête les conduit dans le Sud de la France, puis sur l’Île de Beauté. En 1991, un Corse est arrêté, dissimulé dans un trou derrière une machine à laver. Il sera remis en liberté sous caution. Tout comme d’autres membres du clan interpellés en 1992, en 1995 et en… 2006. Pendant ce temps, le trio arrêté à Genève a été jugé et condamné à sept ans et demi de prison dans la même ville. L’un d’eux sera d’ailleurs rejugé et acquitté en 1996, au bénéfice du doute.

Tous acquittés en France

Et du côté français? Un premier procès a lieu à Paris en 2001: il sera renvoyé pour «complément d’information». Le deuxième procès de 2004 est digne d’un mauvais film de série B. Tous les protagonistes corses sont acquittés, vu le manque de preuves matérielles dans ce dossier complexe, qui remonte à près de dix ans. Un certain nombre des acquittés ont depuis lors été assassinés. Quant au butin, on ne l’a jamais récupéré. Les fonds auraient quand même laissé des traces; ils auraient vraisemblablement été transformés en lingots d’or. Leur vente aurait permis d’acquérir des biens immobiliers en Corse et sur la Côte d’Azur. Une partie a sans doute aussi servi au versement de l’impôt révolutionnaire auprès d’organisations indépendantistes corses.
Désormais à la retraite, le commissaire Marco Mattille constate – on dirait presque avec regret – que ce genre de travail de pros n’existe plus… «Ce n’est pas de l’admiration. Juste un constat: les équipes d’antan étaient plus soudées, les meilleurs avaient été sélectionnés en prison».

 

Valérie Duby