Ecrivain et escroc (entre autres)
L’homme qui dupa Voltaire
Ami de Rousseau, protégé de Voltaire, Joseph Marie Durey de Morsan est un personnage haut en couleurs. Tour à tour libelliste, écrivain, domestique, secrétaire du roi de Pologne et même escroc. Dépensier et toujours endetté, il n’en était pas moins un gastronome exigeant, comme le montrent des lettres conservées à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève.
Ce fut le 13 août 1717, au sein d’une riche famille de la Côte d’Or, que Joseph-Marie Durey de Morsan vit le jour. Son père, Pierre-François, était receveur général des Finances de Bourgogne et devint plus tard fermier général. Envoyé à Paris pour faire ses études de droit, Joseph-Marie y mène une vie frivole et dissipée. Au Collège, il rencontre un certain Baculard d’Arnaud, avec lequel il publie en 1740 un ballet grivois, voire obscène, qui lui vaut un séjour à la Bastille. Libéré puis arrêté plusieurs fois, notre trublion comprend qu’un exil temporaire s’impose et en profite pour voyager: Provinces-Unies, Espagne, Italie, Angleterre et Suisse. Incorrigible, il continue de s’intéresser aux livres clandestins, libertins et interdits. A son retour en 1746, on lui arrange un mariage qui ne dure pas longtemps. Reprenant sa vie de bohème, il exaspère sa famille au point qu’elle finit par rompre avec lui. Domestique, précepteur, voire pire (écrira Voltaire), il devient secrétaire du roi de Pologne en exil à Nancy. A nouveau ruiné, Durey doit fuir ses créanciers. En 1760, ses dettes se montent à 1’120’000 livres… ce qui est énorme. Elles seront réglées plus tard grâce à l’héritage de son père, mais il en fera vite d’autres…
Installation en Suisse
Durey de Morsan se fixe en Suisse dans les années 1760 et se fait naturaliser Neuchâtelois en novembre 1764. C’est à cette période que se situe sa rencontre avec Jean-Jacques Rousseau, dont il deviendra l’ami avant de se fâcher avec lui. Il n’en fallait pas plus pour que Voltaire l’accueille à Ferney et prenne sa défense. Le croyant victime d’une coalition d’intérêts, il lui trouve de grandes qualités d’esprit et de cœur: «Vieil enfant très bon, très serviable et très infortuné». Voltaire intervient activement auprès des autorités, de sa famille; le philosophe paie les nouvelles dettes de son protégé… Il semble bien que le patriarche se soit fait embobiner par ce personnage excentrique et charmeur. Durey quitte définitivement Ferney en 1774, Voltaire ayant enfin ouvert les yeux, lassé de régler les dépenses de cet endetté perpétuel.
En 1780, Joseph-Marie s’établit à Genève, rue de la Cité, où il réside jusqu’en 1795. La BPU conserve des lettres de sa main, adressées au Sieur Rainbach, pâtissier-traiteur, entre le 26 mai 1790 et le 19 janvier 1791. On y trouve des conseils montrant que Durey connaît parfaitement la façon de cuisiner les mets les plus fins. Les saveurs et les préparations qu’il recherche sont les mêmes que celles du grand gastronome Grimod de la Reynière, auteur de l’«Almanach des Gourmands» en 1803.
Un mauvais rôtisseur
Les critiques de Morsan sur la cuisson des mets sont peu amènes. (L’orthographe d’origine a été conservée). «Tous vos rôtis sont calcinés, brûllés, noirs. Votre sauce aux asperges était de la colle, de la vraie colle et sans saveur. Je vous avais recommandé de ne pas trop cuire l’alloyau et vous l’avez encore calciné selon votre méchante habitude. Ne voulez-vous pas vous corriger sur votre maudite façon de brûller vos rôtis ? (…) L’autre jour, par lésinerie, vous avez fait cuire dans de l’eau, et non dans du bon vin, une jolie truite, qui était comme de la bouillie. (…) Le foie de veau d’hier avait autant de goût qu’un manche à ballai rôti… quelle tête dure et incorrigible! Oh le mauvais dîner pour un jour d’Escalade! Corrigez-vous, essayez, vous n’en crèverez pas». Une autre fois, c’était un beau râble de lièvre «brullé, desséché, calciné au feu d’Enfer par un brûlleur de viande ignare et incorrigible. Pour les légumes, j’ai eu des herbes cuites à l’eau, au syrop de grenouilles, au jus de la fontaine. Nous solderons nos comptes ce mois-ci»… On ignore quelle fut la fin de Joseph-Marie Durey de Morsan, qui était revenu à Paris en juillet 1795.