culture - Romano Prodi donne la Leçon inaugurale du semestre d’hiver de l’Université de Genève
«L’Europe doit rompre avec les visions du passé»
Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne et ancien président du Conseil des ministres italien, donnait mardi 17 septembre la Leçon d’ouverture du semestre d’automne de l’Université de Genève. Son thème, «Les défis démocratiques de l’Europe», résonne fortement dans l’actualité, remarquait la nouvelle rectrice, Audrey Leuba, dans ses mots de bienvenue.
Nous vivons l’opposé du siècle américain annoncé par Francis Fukuyama, constate d’emblée l’orateur. Deux blocs s’affrontent et s’éloignent l’un de l’autre d’année en année. L’universalité de la démocratie et des droits de l’homme est remise en question, en partie par notre propre faute: la démocratie ne peut pas s’exporter par la force et les pays occidentaux ont souvent agi en contradiction avec les valeurs qu’ils défendaient.
En matière de relations internationales, les changements ont surtout été le fait des Occidentaux. La politique extérieure chinoise, dictée par les énormes besoins de ce pays en ressources énergétiques et alimentaires, est marquée par la continuité. De 2010 à 2020, la croissance du PIB chinois a représenté chaque année l’équivalent de l’ensemble de l’économie russe, relève-t-il.
Une fragmentation polarisée
Les Etats-Unis ont perdu deux millions d’emplois industriels dans les deux dernières décennies, en raison du déplacement de la production vers l’Asie. Ce n’est pas énorme à l’échelle du pays, mais cela a déséquilibré la classe moyenne, avec les répercussions politiques auxquelles nous assistons. Le poids accru de l’Asie, en particulier de la Chine, a divisé les Européens. L’Allemagne, qui a beaucoup investi dans l’Empire du Milieu, n’est par exemple pas favorable à l’introduction de droits de douane sur les marchandises chinoises.
La vie politique des Etats européens est marquée par ce que Romano Prodi nomme la «fragmentation polarisée». Un nombre croissant de partis politiques se disputent les suffrages populaires en se positionnant de manière tranchée. De ce fait, la continuité de la poursuite des objectifs stratégiques nationaux n’est plus assurée. Cette situation est une invitation à un approfondissement de la démocratie, estime-t-il.
De grandes innovations
européennes
Et de rappeler les grandes innovations apportées par l’Europe, en matière de politique culturelle, de lutte contre l’impunité ou de droits de l’homme, des innovations que la désunion actuelle au sein de l’Union européenne (UE) empêche de rayonner au-delà du continent.
Il est important que l’Europe ait une zone de paix à ses frontières, relève Romano Prodi. Or l’UE n’a pris aucune initiative de médiation, que ce soit au Proche-Orient ou en Ukraine. Un saut de qualité de la gouvernance européenne est nécessaire, alors même que depuis vingt ans, le pouvoir au sein de l’UE est passé de la Commission, qui représente le niveau supranational, au Conseil européen, composé des chefs d’Etat ou de gouvernement, dans lequel les Etats expriment leurs intérêts spécifiques.
Alors que le budget militaire des 27 Etats membres de l’UE est l’égal de celui de la Chine, l’absence d’unité continentale en matière de défense, comme en matière de politique industrielle ou dans d’autres domaines encore, empêche notre continent de réaliser ses potentiels. En conclusion, Romano Prodi a plaidé pour une rupture avec les visions du passé et une approche patiente de la démocratie au sein de l’UE, afin de dégager une vision plus cohérente pour l’avenir.
Cesare Accardi
GROS PLAN
Deux fois président du Conseil
Romano Prodi, 85 ans, a été président du Conseil des ministres italien de 1996 à 1998 et de 2006 à 2008, ainsi que président de la Commission européenne de 1999 à 2004. Au cours de ce mandat, il a mené à bien l’élargissement de l’UE en 2004 à Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie et la République tchèque.