Metin Arditi.

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culture - A propos de son ouvrage sur le Christ

Lettre ouverte à Metin Arditi

26 Avr 2023 | Culture, histoire, philosophie

Cher Metin Arditi,

«Et vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?», demande Jésus-Christ si l’on en croit Matthieu, dans son Evangile au chapitre 16. L’apôtre Pierre va répondre à cette question que Jésus pose en réalité à chacune et à chacun de nous, au long des siècles. A votre tour, vous avez répondu à cette demande dans certaines parties de votre œuvre littéraire et spécialement dans votre dernier roman, «Le bâtard de Nazareth», paru dans les derniers jours du Carême chez Grasset. Cette coïncidence en est vraiment une, l’écriture de ce roman s’étant achevée il y a une année déjà.

Ce titre vous a valu immédiatement opprobre et critiques de la part de chrétiens, offusqués que vous osiez traiter Jésus de bâtard. Or, ce mot signifie «qui est né hors mariage» selon le dictionnaire de l’Académie française dans sa IXe édition. Nulle théologienne ou nul théologien sérieux ne peut affirmer que telle n’est pas la situation de Jésus, dont la naissance est annoncée à Marie qui ne «connaît point d’homme», comme le disent poétiquement les Evangiles, et qui n’est pas encore mariée à Joseph. Je ne vous reprocherai donc pas ce choix de mot, même si je ne suis pas habitué à l’entendre sous les voûtes de nos églises et de nos temples que je fréquente très régulièrement (surtout les premières, nul n’est parfait). Il est vrai aussi que ce qui est devenu une insulte s’est largement répandu grâce, si j’ose dire, à Quentin Tarantino et à son cultissime «Inglorious Basterds» (que l’on peut aussi traduire par «salopards»), et que l’on pense plus à l’insulte qu’au statut d’enfant né hors mariage en entendant le mot «bâtard», dont vous nous donnez dans votre roman la traduction en hébreu, «mamzer».

Il se trouve que contrairement à vos contemptrices et contempteurs, j’ai lu votre roman, comme toute votre œuvre. N’étant pas subsidié par la Congrégation vaticane de la Doctrine de la foi, même si j’en respecte généralement les avis autorisés, il ne m’appartient pas de juger de la conformité de votre roman à la foi de ceux qui professent le Christ, ni de dire en quoi certains passages pourraient troubler la foi et les mœurs, pourtant si libéralisés à notre époque que d’aucuns jugent pourtant décadente.

Sachez, cher Metin Arditi, que je n’ai pas été choqué par votre dernier opus. Au contraire, j’y ai trouvé votre réponse sur qui est Jésus de Nazareth pour vous. Cette réponse est élégante, avec le style qui vous caractérise, maîtrisée, comme généralement chacun de vos récits, pleine de véracité grâce aux dialogues superbement travaillés. On perçoit aussi dans «Le bâtard de Nazareth» le thème, souvent présent dans votre œuvre, de la recherche du père et d’une blessure d’enfance. Et je respecte non seulement chaque personne, mais aussi les écrivains, qui bénéficient toujours d’une liberté artistique dans leurs choix. Ainsi votre choix de mettre en exergue le personnage de Judas, dont vous faites une sorte de metteur en scène revanchard, tout en relevant son caractère très humain.

Bien sûr, votre roman nous décrit un Jésus plus proche des thèses de Daniel Marguerat (que vous remerciez à l’issue de votre livre) que de celles de Charles Journet ou de Joseph Ratzinger, de vénérée mémoire. Il se rapproche du Jésus de Nikos Kazantzákis, dont Martin Scorsese tira «La Dernière Tentation du Christ» en 1988. Mon sentiment – je répète que je ne suis qu’un pauvre pécheur sur lequel le regard miséricordieux de Dieu s’est posé – est que vous privilégiez la nature humaine du Christ en gommant sa nature divine. Or, votre Jésus très humain, qui est par exemple très proche de Marie-Madeleine dans votre récit, est aussi le Fils de Dieu pour les croyants. Si le romancier peut naturellement se contenter de cette seule humanité, le croyant est, lui, aussi attaché à la nature divine de celui «en qui j’ai mis tout mon amour» selon le Père (Jean 6,68). Même si le Jésus que vous décrivez est plus politique et rempli de doutes que Celui décrit par les Evangiles, votre roman rappelle opportunément que la religion doit surtout relier les hommes par l’amour et non par la Loi. Et que Jésus veut ramener la Loi à ses racines d’amour, de pardon et de charité.

Dans cet esprit que nous partageons, croyez, cher Metin Arditi, à mes sentiments fidèlement admiratifs.

 

Laurent Passer

«Le bâtard de Nazareth»,
par Metin Arditi. Editions Grasset.

Metin Arditi est l’un des invités
de «La Grande Librairie» sur France 5
ce mercredi 26 avril à 21 heures.