culture - Héritage de Bernanos
L’espérance dont nous avons besoin
A l’occasion d’une conférence donnée à Genève voilà quelque temps, à la paroisse Sainte-Thérèse à Genève, Mgr Patrick Chauvet, curé de la Paroisse parisienne de la Madeleine et ancien recteur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, a évoqué la figure du grand écrivain Georges Bernanos (1888-1948), dont il est l’un des spécialistes francophones. Pourquoi Bernanos, qui participa aux Rencontres internationales de Genève en 1946, parle-t-il encore à nos contemporains?
L’œuvre de Georges Bernanos est en effet présente en librairie, toujours lue, souvent citée, et analysée scientifiquement à travers de nombreuses publications. Mgr Patrick Chauvet a répondu aux questions du Journal de l’Immobilier.
Georges Bernanos a pu dire dans «La liberté pour quoi faire» que «la plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté». En un temps où souvent nos contemporains sont désespérés devant l’avenir, les changements économiques et climatiques, la situation politique, les soucis personnels, les guerres et les épidémies, Bernanos parle d’espérance, c’est-à-dire le courage d’aller, au prix de grands efforts et patiemment, à travers la vérité. «Qui n’a pas vu la route de l’aube, entre ses deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance» («Monsieur Ouine»).
Constatant dès les années d’après Première Guerre mondiale que notre monde n’avait plus le temps ni d’espérer, ni d’aimer, ni de rêver, Georges Bernanos ne cessa d’alerter les consciences face à cette déspiritualisation de notre civilisation, qui «ne s’écroule pas comme un édifice, on dirait beaucoup plus exactement qu’elle se vide peu à peu de sa substance jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que l’écorce» («La France contre les robots»). Face à la détresse de l’homme brille l’espérance, ce saut sans points d’appui dans la vérité et la liberté intérieure.
Bernanos toujours vivant
Outre plusieurs ouvrages récents consacrés à l’analyse de l’œuvre de Bernanos, dont «Bernanos sans concessions» de Mgr Patrick Chauvet, l’écrivain valaisan Christophe Gaillard a publié en 2023 un excellent «Rencontre à la Boisserie», où il relate la rencontre entre De Gaulle et Bernanos en décembre 1946, sorte de «dialogue des morts» qui nous plonge subtilement dans l’œuvre mémorielle, romanesque et de combat de Charles De Gaulle et de Georges Bernanos alors qu’aucune trace écrite n’a été conservée de l’entretien entre ces deux géants. Dans «Echec et mat au paradis», qui vient de paraître, Sébastien Lapaque, qui a déjà souvent évoqué Bernanos, réunit Stefan Zweig, Juif autrichien agnostique, et Georges Bernanos, catholique mystique antinazi, sur fond d’exil au Brésil.
«Un prophète pour notre temps»
– Mgr Patrick Chauvet, comment avez-vous découvert l’œuvre de Bernanos et par lequel de ses ouvrages avez-vous commencé?
– J’ai commencé par le «Journal d’un curé de campagne». Je l’ai découvert tout simplement parce que j’étais jeune professeur de lettres et que j’enseignais Bernanos en classes terminales. Je lisais des extraits et j’ai été tout de suite séduit par la langue, qui est difficile, et par le roman, même si je pensais déjà cette époque au sacerdoce. J’ai été encouragé dans le discernement de ma vocation par Bernanos. Le lendemain de l’incendie de Notre-Dame de Paris, je suis revenu seul sur le parvis et tout de suite, Bernanos est arrivé dans mon cœur, «France, réveille-toi»! Et puis il y avait l’espérance. Face à ce drame, est-ce que tout est foutu ou est-ce qu’il y a une petite espérance, comme aurait dit Péguy?
– Pour quelles raisons Bernanos est-il encore lu en 2024, plus de 75 ans après sa mort?
– Un écrivain vit un temps de purgatoire. Bernanos a vécu ce temps pendant des années; il n’était pas très connu. En revanche, l’actualité de Bernanos, pourquoi il réapparaît, c’est parce qu’il éclaire ce que nous sommes en train de vivre. Bernanos est un prophète pour notre temps. Je ne me rends pas très bien compte quels sont les lecteurs de Bernanos. Est-ce les jeunes? Peut-être. Je le souhaite. Bernanos a ce côté un peu révolutionnaire. C’est un écrivain qui entraîne, ce n’est pas sirupeux. Il m’accompagne depuis ma jeunesse. J’ai fait beaucoup de cours sur l’œuvre bernanosienne, quelques livres et de nombreuses conférences.
-Vous réjouissez-vous de la réouverture de Notre-Dame de Paris, la semaine prochaine?
– Oui, j’attendais ça aussi! L’espérance est l’attente joyeuse. Donc j’espérais cela et on va redécouvrir une cathédrale transformée. Elle a été nettoyée, elle est d’une blancheur incroyable et va bénéficier d’une luminosité jamais vue. C’est une belle réalisation et un très beau travail. Je me réjouis avec impatience et espérance!
Propos recueillis par Laurent Passer
Bernanos sans concessions, Mgr Patrick Chauvet, Fayard 2024
Rencontre à La Boisserie, Christophe Gaillard, L’Aire 2023
Échec et mat au paradis, Sébastien Lapaque, Actes Sud, 2024.