terroir - En Valais
Les Seewer au firmament du vin suisse
Famille peu banale que ces magnifiques artisans du vin, capables, pour la première fois dans l’histoire de la profession, de remporter puis de défendre leur titre de meilleure cave de Suisse. Rencontre dans leur écrin magique de Leukersonne, à La Souste.
Dire que Fabienne et Damian Seewer, 48 et 52 ans, sont enviés dans le monde du vin est un bel euphémisme. Ils animent en effet la seule cave à avoir jamais gagné et défendu avec succès un titre de Cave suisse de l’année. L’histoire est assez incroyable. Cette année, après avoir classé plusieurs vins sur les podiums, et même en première place, le couple – «30 ans de mariage où on ne s’est jamais ennuyé», dit Monsieur. «Même si ça a été chaud assez souvent», rigole Madame – s’est éclipsé discrètement de la cérémonie pour griller une clope et prendre un bol d’air, déjà très heureux de la tournure des événements. Heureusement, leurs enfants et le reste de l’équipe Leukersonne étaient là pour assumer les lauriers encore à venir, en l’occurrence le Prix «Coup de cœur Vinissimo rouge».
Accoudé à l’une de tables hautes de leur espace dégustation ultramoderne, tout près de la sortie d’autoroute de Loèche, Damian essaie de prendre un peu de recul pour évoquer la saga familiale. «Ce qui nous arrive est totalement improbable, mais c’est une formidable récompense pour une équipe de vingt personnes qui donnent tout pour la passion du vin. En 2023, au lendemain de notre victoire, tout le monde est ainsi venu travailler. Même chose cette année, mais rassurez-vous, on a quand même très bien fêté!».
Au nom du père
«Mon père, raconte Damian, avait des vignes depuis longtemps, mais il rêvait de faire du vin en professionnel. Avec l’aide de Maman, il a franchi le pas en 1976. Cela a duré un peu plus de vingt ans. Il est décédé en 1997, nous plaçant face à un sacré dilemme. Fabienne était enceinte, on était une toute jeune famille avec des projets plein la tête, des projets très différents du monde du vin et de ses grandes exigences».
Habitués depuis l’enfance des travaux de la vigne – «On y travaillait tous les deux dans nos familles respectives, tous les mercredis et tous les samedis», souffle Fabienne – les époux hésitent, tergiversent, mais finalement plongent dans le grand bain. «Papa avait une vision, des rêves axés sur la qualité, l’excellence, raconte Damian. On s’est dit que cela nous correspondait et on s’est lancé. Dans la vie, savoir accepter des responsabilités imprévues, c’est aussi quelque chose d’important».
«Le cœur avant tout»
Ils nous le diront tous les deux, avec des mots différents, mais un sens identique: «Quand une décision est prise, il faut y aller à fond, avec tout son cœur, toute sa passion!». «Elle avait une sensibilité parfaite pour tout ce qui est marketing, publicité, vie de l’entreprise, se souvient Damian. Moi, c’était la cave, la création des vins. On se complétait bien. Au début, bien sûr, il y avait une sorte de peur qui nous happait, mais on l’a transformée peu à peu en un puissant moteur pour progresser». Leur devise n’a dès lors rien de surprenant: «Toujours en avant, jamais en arrière!». «Comme mon père», rappelle Damian avec un sourire nostalgique. «Cette quête de l’excellence nous définit bien, résume Fabienne, même si le chemin vers l’exceptionnel n’est jamais facile. De toute façon, chercher des solutions aux problèmes, c’est le sel de la vie, non?».
Succession assurée
Quand on jette un coup d’œil sur l’organisation de l’entreprise, on se rend compte qu’ici, tout roule en famille. «On n’a jamais poussé les enfants dans le monde du vin, proteste Damian. Au contraire, je les ai même plutôt découragés. On leur disait: faites ce que vous voulez vraiment, on sera toujours derrière vous… Au final, il s’avère que tout le monde a la passion de ce boulot qui est top, il faut bien le dire! Ma fille est donc dans les médias et le marketing avec ma femme. Mon fils se forme aux métiers de la vigne du vin, après avoir essayé tout autre chose… dans la mécanique. Mon beau-fils se passionne pour la logistique. C’est un vrai bonheur de se retrouver à tirer tous à la même corde! D’ailleurs, c’est toute l’entreprise Leukersonne que je définis comme une famille élargie».
Un lieu de dégustation accueillant.
Une machine de guerre
Le succès a-t-il changé nos amis? «Il faut être clair, rigole Damian, la première consécration nous a amené des clients nouveaux de partout. On a presque été débordé, mais on n’a jamais renoncé à bichonner nos clients de la première heure. Dans le business, le lien fort, amical, ça existe aussi. Nous, c’est d’ailleurs ça qui nous motive. On n’oubliera jamais d’où l’on vient et on sait où l’on veut aller. Quoi qu’il advienne, on saura garder la tête froide. Cela dit, c’est très agréable de voir beaucoup plus de Bas-Valaisans, de Lausannois, de Genevois venir à notre rencontre. Avec deux carnotzets, une salle de séminaire et de dégustation, une offre traiteur, on est paré pour accueillir tout le monde. Je suis fier de la modernité et de l’efficience de notre outil de travail, tant pour la promotion et la vente que pour la vinification, l’embouteillage, l’encavage et la livraison des 500 000 colis que nous produisons chaque année. C’est une vraie machine de guerre qui met en valeur les qualités de toute l’équipe Leukersonne».
Le goût de la découverte
Ici, rien n’est coulé dans le bronze. «Notre grand plaisir, explique Damian, c’est de partir à la rencontre de ce que font les autres, ailleurs en Suisse, mais aussi à l’étranger. Ou parfois, plus simplement, de prendre le temps de cuisiner chez nous – j’adore! – pour mettre en valeur tel ou tel vin». «Attention, taquine Fabienne, jamais nos vins. Le but est de traquer les bonnes idées un peu partout, de chercher sans cesse les nouvelles tendances, le futur du vin».
Jean-François Fournier
GROS PLAN
Trois bouteilles cultes
Le monde de Leukersonne, c’est un centre d’accueil hyper-moderne, exceptionnel et avec peu d’équivalent en Suisse. De quoi honorer une production saluée par divers premiers prix et deux titres de Cave suisse de l’année au Grand Prix du Vin Suisse.
Production annuelle: 500 000 bouteilles.
Répartition de la clientèle: 60% d’Alémaniques, 40% de Romands.
Répartition sociologique: 60% de clients privés, 40% du monde de la gastronomie.
Typologie des vins: 60% de vins rouges, 40% de blancs.
Nos coups de cœur: Un assemblage de type bordeaux (Merlot/Cabernet franc), intitulé «Hommage à Papa». Un assemblage heida et petite arvine où un soupçon de minéralité et une fine salinité vous emmènent au paradis. Et le gamay, premier au Grand Prix du Vin Suisse, sans aucun doute parmi les plus extraordinaires du genre.