Ici au moins, on voit le lien entre les deux sens du mot «canard».

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hors champ

Les quanta sont-ils vides?

4 Déc 2024 | Culture, histoire, philosophie

Plus que trois numéros avant la fin de l’année… qui risque d’être aussi la fin d’un monde: autant aller à l’essentiel comme on fait lors des «dernières volontés». Dans Hors Champ, on a souvent dénoncé les milieux «bien»: ceux qui ont le monopole du «cœur» et de l’«esprit». Et dont les médias «de qualité» ont à l’œil et même à la loupe les patrons sans pitié et les polices pourries. Or ces derniers jours encore, on a pu voir à l’œil nu des savants en pleine action pour le bien des «Objectifs du développement durable» grâce au Open Quantum Institute: jamais des savoirs aussi pointus aux mains de gens aussi calés avec des buts aussi nobles ne se sont enlisés dans une démarche aussi vaine.

Le Geneva Science Diplomacy Accelerator (ci-après Gesda) – créé il y a cinq ans pour donner un rab d’âme au Cern et de science aux Nations – devait en dire plus pour faire rêver: la «science », son prestige est un peu usé; la «diplomatie», c’est louche en matière de vérité; même les vingt lieues d’un «accélérateur», c’est court pour les amateurs de larges horizons. Mais le «quantique», ça sonne toujours bien… et ça fleure bon le mystère: la physique des quanta est certes vieille comme l’auto, mais elle n’a pas encore livré toutes ses promesses. Jusque-là donc, pas d’objection à de tels rêves de grandeur, si ce n’est que même sans Gesda, l’industrie ou la recherche livrent déjà chaque jour du siècle leurs quanta quotidiens: à leurs salons, à leurs congrès, dans leurs revues… Non, le hic n’est pas là, dans le potentiel de la physique avancée, mais dans la confusion entre deux ordres logiques: on épate la galerie par l’abstraction des quanta; pour, en gros, traiter un problème de… permis de pêche!

Tenir les puces en laisse

Le soussigné n’a pas suivi de bout en bout la Journée du 22 novembre au Campus Biotech, mais il en a entendu assez sur la «gouvernance» des quanta pour le bien et la paix. A la fin, il a tout de même demandé aux experts «ce qu’il y avait de si spécial aux quanta en matière de gouvernance?». Voici en bref ce que ça donna: «Ma foi… rendre le quantum éthique… c’est comme pour les nec-puces-ultra»; «Tiens, il faut donc aux ordinateurs les plus performants une «gouvernance» diplomatique?»; «Ben oui: si un Mandrin achète une telle machine, il peut machiner de gros dégâts»; «Le classique dilemme du couteau «pour couper le pain ou la gorge?»; «Disons… c’est comme l’achat de nitres pour faire des bombes». Bref, plus rien à voir avec les quanta: on est là dans une question de permis de port d’arme (ou de pêche: on dit que jadis un étudiant avait remis à l’Uni copie de son bac en persan qui – une fois traduite – était juste un permis de pêche). Mais foin de crime de lèse-majesté envers le quantique: avec lui – d’accord – l’intelligence artificielle est plus fiable, les communications plus sûres… grâce à ou malgré le flou essentiel à cette physique duale.

L’avenir est flou… entre Planck
et Tolstoï

Mais le mal, la guerre, est-ce juste dû à une erreur de calcul… un manque de confiance… ou bien la paix a-t-elle moins de logique que notre monde… et la guerre, autant que les autres mondes? La veille au Centre de congrès près des Nations se tenait la Journée de l’Université Webster sur «l’humanitaire». Cette année, grâce à l’étoile montante Lionel Fatton, on a pu entendre une joute oratoire sur «L’Europe peut-elle vivre en paix sans bouclier américain?»: deux équipes sur scène pour prouver chacune son équation. L’une disait en gros: «Europe moins Amérique égale paix»; l’autre: «ça égale guerre». Savoir lequel des deux calculs dit juste est impossible: tous les ministères, tous les chercheurs, tous les militaires, tous les citoyens… s’y affairent et s’y fourvoient depuis près d’un siècle (avec en prime la «crise des Euromissiles» du temps de Brejnev et Mitterrand).
Si la physique quantique est floue autour de la constante h, ses équations au moins sont sans appel; celles de la paix et de la guerre, c’est l’inverse: les scénarios sont clairs mais les équations, douteuses. Bref au Campus Biotech, ce fut comme un débat sur l’«avion»: facile d’éviter les conflits si les uns parlent de l’objet qui vole et les autres du jeu qui ruine… ou des ailes des anges et de celles d’une prison.

La paix par l’apartheid

Un plaisantin a donc ironisé, à propos du fameux paradoxe du «chat de Schrödinger» complété des équations sur les états inverses de Nicolas Gysin: «Si on arrive à mettre tous les chats dans une boîte et tous les rats dans l’autre, ce sera la Paix Perpétuelle». En fait, les guerres sont parfois issues d’un malentendu, voulu ou non comme avec la «Dépêche d’Ems». Mais alors, plutôt que miser sur les quanta, on ferait mieux de mettre en œuvre une «basse tech»: les sous-titres, qui ne coûtent rien (et que Zoom ou Disney manient bien).
Ces jours encore à un débat sur Gaza, la Maison de la paix n’a mérité son nom que faute de bonne sono: on tombe vite d’accord quand on ne s’entend pas, surtout si l’«entre-soi» au podium – où on parle en fait pour ses pairs haut perchés – est le vrai but du défilé des phrases.
Alors laissons à la Genève Internationale son regard trompeur en surplomb pour aller à la Fac de sciences voir le dessous des cartes: «Choisir une filière n’est pas facile pour un étudiant en physique; dans celle dite «des particules», la matière n’est pas très présente: on y fait surtout de l’analyse des données à l’écran; quant aux ordinateurs quantiques, c’est une vieille casserole où on tente de faire un peu de nouvelle cuisine… mais quelle masse de fric on trouve pour ça!».

 

Boris Engelson