hors champ
Les privilèges de la culture
Du temps de l’homme des cavernes régnait la force brute du «Glouk!»: du moins est-ce ainsi que le voit la bande dessinée. Mais grâce à l’élite de l’esprit sinon du biceps, la donne a changé: merci au maître d’école. Par quelle fatalité la société du savoir retombe-t-elle dans le travers du «Glouk!»? Peut-être par sa propre faute: on pardonne à la «culture» et à la «recherche» bien des choses qui choquent en politique ou en religion.
Point besoin de perdre du temps à le montrer: tout le monde voit bien que notre monde ne tolère plus le débat… en démocratie encore moins qu’ailleurs. Au point d’en être schizophrène: à l’Université de Genève, on invite une experte ès liberté d’expression à donner conférence dans une grande salle en soirée… oh! pas Salman Rushdie, boycotté en Suisse… mais tout de même une chercheuse estimable, Teresa M. Bejan.
Texte ou prétexte?
Main tendue à la liberté ou bouche ouverte au débat, certes… mais main qui ménage la chèvre et le chou… et surtout les chouchous du pouvoir scientifique et politique. Car au même moment dans la même Université, des étudiants roulent les mécaniques pour faire taire quiconque n’est pas de leur bord et ne s’en tiendraient pas à une tarte si Scott Adams mettait le pied dans «notre Uni». Certes, le Rectorat a fini par porter plainte, mais le local estudiantin au coin d’Uni-Mail – en pleine rénovation aux frais de la maison – appelle par grandes affiches à une manif contre le parti populiste que «tout le monde déteste». De même, c’est dans une maison pas loin du «Courrier» et prêtée par l’Etat à une coopérative culturelle que se tiennent des réunions comme celle criant «mort aux flics» au nom de la «science criminelle» d’une «chercheuse» vedette objet de tous les honneurs médiatiques. Que le point de vue des «abolitionnistes» de la police mérite d’être débattu, ce n’est pas dans un texte pour la liberté de parler et surtout de penser qu’on va le nier. Mais était-on là dans un espace de débat, ou dans une «zone» libérée en attendant de livrer l’assaut?
La ligne 18 mène à Champ-Dollon
En revanche, le journaliste se fait remonter les bretelles à l’entrée d’un colloque de la Haute école d’art… pour avoir tenu des propos critiques sur l’école un mois plus tôt dans… le tram! Et ceci alors même qu’une des oratrices exposait sur une table son livre «Les interdits, ça suffit». Autre surprise: ladite oratrice (et d’abord graphiste) a fait les affiches de l’Esplanade du Lac, centre culturelle à Divonne où avaient eu lieu deux jours plus tôt les «Assises de la culture transfrontalières» avec en sous titre «Un temps pour (vous) inspirer et réinventer la culture». Mais «Assises» gardées si secrètes que même ladite graphiste ignorait leur existence, comme d’ailleurs la presse genevoise (secret si total que Genève parlait d’«Assises» quand la France disait «Rencontres»… détail, mais détail parlant). Hélas! ce qui est parlant n’est pas écoutant, dans le monde de la culture: le plus souvent, les «conférences de presse» de ce milieu ne prévoient pas de temps pour les questions… on a vu ça à La Comédie comme au Château Rouge ou à Archipels… et de manière encore plus choquante à la Haute école d’art l’an dernier, dernière apparition du directeur après près d’un quart de siècle de règne. On a pu entendre la nouvelle directrice cette année lors des portes ouvertes… mais elle vantait son école aux étudiants comme un vendeur d’auto au public du Salon.
Moins d’une semaine plus tard à un forum du livre d’artiste, un assistant m’interpelle… ou l’inverse: «Oui, vous critiquez tout, mais ça n’est pas honteux car au moins, vous venez sur place».
Le syndrome du vieux beau
Retour au cas de départ, celui du refus du débat chez les gens qui se croient au-dessus qui s’étale sur les vitres des assos d’étudiants. On peut détester ceci ou cela… mais que dit l’affiche, sinon que «tout le monde, ça veut dire nous… et l’inverse… tandis que eux n’ont pas le droit d’exister»? Dire qu’un quart des votants ou zéro, c’est pareil du moment que c’est «eux» et pas «nous» est curieux… surtout venant de gens qui ont employé «Les Panou» (livres d’enfants) contre le racisme… et qui «détestent» au nom de la lutte contre le «discours de haine». Bon… tant d’inconséquence en devient à la longue attendrissante… et d’ailleurs, nos élites démocratiques, académiques et culturelles ont envers toutes les incivilités intolérantes l’attendrissement des vieux Israéliens pour les jeunes colons… c’est du moins ainsi que la presse explique que même les «kibboutzniks» soient suivistes. Et soudain, la réponse saute aux yeux… à propos du Théâtre de Carouge qui, ces jours, fait tout un raffut avec sa «Règle du jeu» issue de Renoir (qui lui-même s’inspirait des classiques). A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, Renoir décrivait un milieu frivole réglé au point d’être aveuglé par ses jeux mondains. Au seuil de la Troisième Guerre, où est donc ce milieu, sinon là sous nos yeux… dans ce nouveau Faust qui troque sa rigueur contre l’espoir de gagner la jeunesse?