Trois inconnues… sans équations.

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hors champ

Les marchands de bonheur sont de retour

6 Avr 2022 | Culture, histoire, philosophie

 «Journée mondiale du bonheur» le 25 mars… «Forum de la coopération» le 31 mars… la première devrait réjouir le cœur et le second nourrir la tête… mais mis face à face, ces deux temps font voir à quel point le cœur et la tête – de nos jours – se font l’un l’autre de l’intox.

On a dit (plus haut) «deux temps», car le conte de fée les mêle sans gêne: le «bonheur national brut» reflète un présent fugace… le «produit intérieur brut» résulte d’un passé figé… et les deux sont lus à la lumière d’un avenir que le conteur voit à sa couleur.

La psycho peut-elle casser des briques?

C’est au pays du Bouddah qu’est née la mesure officielle du bonheur… au début de ce millénaire… avant de susciter une «industrie», puis de conquérir les Nations Unies (voir encadré). Vrai, depuis la Guerre mondiale et malgré un quart de siècle de succès puis un autre quart de doute… la «croissance» chiffrée avait fini par lasser… et le «bien-être» n’était plus au rendez-vous. Les «biens» et même les «services» semblaient trop terre-à-terre… et cherchaient un supplément d’âme. Hélas! on le voit ces jours… les sentiments des sondés sont à la merci d’un virus ou d’un canon. A l’inverse et malgré ses affaires de gros sous, l’économie classique parle aussi de «valeur ajoutée», de «rapport qualité/prix», d’«innovation»… et même de droits. Au fait… le Rapport sur le bonheur n’est pas aussi hors sol ou hors sou que ça: il a bel et bien les pays les plus riches en tête de liste (la Finlande ou la Norvège étant de récents champions), et un pays vu par la justice comme «modèle» – le Rouanda – en queue.

La parole du Sud est sacrée

Hasard du calendrier… un troisième larron – après le «produit intérieur» et le «bonheur national» – sape à son tour la concordance des temps: le «Forum de la coopération» (voir encadré) dit semer pour l’avenir, mais il fut en retard d’une guerre. L’Ukraine y fut peu citée, sinon pour en vouloir aux «victimes» des armes d’enrayer le discours sur les «victimes» du climat et du patronat. Si bien que, plus qu’un coup de semonce, ce retour de guerre fut perçu comme un trouble-fête: certes, «l’impensable s’est produit»… «on n’imaginait pas…»… bref, à Genève comme à Bruxelles et à Berne, on est dépassé par les liens de cause à effet du «Bien qui fait le Mal» (voir encadré), mais on est péremptoire pour affirmer le lien entre «le capitalisme» et «les inondations au Zimbabwe». Car malgré l’Ukraine, le Forum revint pépère en terrain sûr, même pour un ministre «libéral»: le discours vert et rose en prêt-à-porter… avec ses mots pièges: «holistique»… «durable»… «intégrer»… «égalité»… « jeunes»… A coup de témoins – de préférence féminins – en salle ou en ligne… sur les méfaits du «néolibéralisme»: c’est une forme de «clientélisme», et ces jours dans la Genève Internationale, une première ministre – qui avait enflammé la salle – s’est trouvée prise de court par la question «Auriez-vous une chose à dire qu’une telle salle n’aime pas entendre?».

Le recyclage… des idées fausses

Pour la pensée circulaire, le Forum de la coopération – plus encore que la Journée du bonheur – fut un vrai cas d’école: le thème cette fois étant donc le climat, on y a parlé à foison des scandaleux «subsides étatiques aux énergies fossiles». Tiens… ce n’est pas ce qu’on voit à la pompe… et pourquoi les pouvoirs publics donneraient-ils de l’argent à l’industrie du pétrole ou du charbon? «Ce n’est pas tant l’industrie que l’usager qui profite de subsides», répond tel expert… caché derrière un autre. Quand on cherche à en savoir plus, la Coopération renvoie à l’Organisation (…) du commerce… qui renvoie à la Banque Mondiale… qui renvoie à l’Institut (…) durable… qui renvoie à l’Organisation (…) de développement économique… bref, chacun cite le voisin et à la longue, ça devient de la «science»… sinon une vérité: à y regarder de plus près, les «subsides» sont surtout de la fiscalité trop faible… au goût du camp vert; et on range aussi sous «subsides» le bas prix de l’essence pour le peuple dans des pays de l’Opep. «Les énergies fossiles ne paient pas leurs effets pervers» tandis que les aides au solaire ne sont pas des subsides… «on investit dans l’avenir»… telle est la rhétorique éprouvée. Depuis peu, on admet que les hôpitaux polluent plus que les banques, mais les inspecteurs des travaux finis tiennent la poêle par le manche: «A Londres, le Service de santé a prévenu ses fournisseurs qu’ils seraient hors marché s’ils tardaient à être neutres en carbone». Une fois de plus, ce sera aux vils marchands de régler les problèmes et aux grands esprits de donner les points.

Comment être vert en restant neutre

En privé parfois, de grands esprits sur le retour disent que le seul nombre qui compte pour le climat est… la démographie. D’autres savants ajoutent que la respiration produit dix fois plus de dioxyde de carbone que les activités techniques. Ceux qui – sur les champs de bataille – veulent exterminer la moitié de l’humanité et causer l’hiver nucléaire sont – à leur manière – de grands écologistes… En fin de compte, qui est le plus idéaliste: cet ingénieur de l’aviation reconverti dans l’horlogerie, car «dans une pièce d’avion, j’ai été intrigué par une tête d’épingle qui servait à… guider des missiles»… ou le général Helmut von Moltke, pour qui «sans la guerre, le monde serait matérialiste»? Alors, si le climat n’a pas d’autre solution, prions pour que la science puisse faire de nous tous des plantes vertes.

 

Boris Engelson

POUR EN SAVOIR PLUS

Sous worldhappiness.report, on trouve la dizaine de rapports depuis leur lancement par le Earth Institute (www.earth.columbia.edu) Jeffrey Sachs (www.jeffsachs.com) et Gallup, en partenariat avec les Nations Unies (qui ont même déclaré un World Happiness Day le 20 mars). Une liste donne aussi l’impact du Rapport sur les médias: outre ceux connus dans le monde entier et ceux des pays «médiatiques» (Etats-Unis, Grande-Bretagne), c’est ceux d’Inde qui semblent le plus curieux du sujet, ceux d’Israël le sont plus que ceux des voisins, alors que la Suisse et l’Ukraine s’en sont tenues à une réaction observée. Un livre raconte l’«Histoire mondiale du bonheur» (sous la direction de Françoise Durpaire), l’Institut national genevois a tenu table ronde le 29 mars sur «Le Bonheur Cantonal Brut, une utopie?», un professeur d’informatique de l’Université (www.bit.ly/qol-gva) mène une enquête sur le bonheur à Plainpalais, en cheville avec la Maison de quartier, un index du bonheur au bureau a été présenté au salon immobilier Mipim (voir «Exploring the design of Happiness» sous www.innesco.co.uk). La séance sur l’énergie du Forum (www.icforum.swiss) se comprend mieux à la lumière de www.iisd.org (qui a une page sur la guerre d’Ukraine et une sur la pollution à Jakarta) et www.fossilfuelsubsidytracker.org (mais il faut un mois pour en lire tous les recoins). La citation du «Bien qui fait le Mal» est d’un des auteurs du livre «Placés, déplacés, protégés?», discuté au Festival (www.histoire-cite.ch). Quatre salons de montres se sont tenus ces jours à Genève (voir www.watchesandwonders.com, www.timetowatches.com, www.ahci.ch et www.espacefert.ch).